Entre les plombs, il y a le verre, ce matériau achromatique composé de grains et de cristaux. Celui qui fait légèrement respirer, vibrer les lignes en introduisant d'autres contrastes, des différences de textures, de compositions granuleuses. Déposés, les verres sont plus ou moins transparents, plus ou moins blancs; textures et couleurs marchent de concert. Unies ou tout en dégradé, les plaques de verre découpées adoptent ainsi sur leur surface entière une valeur de gris ou passent doucement d'une tonalité à l'autre. Gris plus ou moins pâle, plus ou moins foncé qui se transforme parfois dans son opposé achromatique.

Les valeurs s'échangent. Rarement, à l'extrémité du bas-côté nord, les contrastes se font plus brutaux; les gris se rencontrent, s'affrontent dans le même morceau de verre. Alors les ruptures deviennent évidentes, des effets s'imposent à l'œil. Le regard s'y brouille un peu entre les contrastes des lignes métalliques et celles plus floues créées par les différences de texture. Jeux de gris variant dans les vitraux, dans l'abbatiale, à l'extérieur et à l'intérieur; il faut prendre son temps pour les saisir et percevoir aussi les transformations en cours. Car les couleurs changent sans cesse, petit à petit avec le temps.

Les luminosités se font plus intenses au fur et à mesure de la levée du soleil, pour atteindre une certaine valeur qu'elles conservent plus longtemps les jours de mauvais temps. Petits éclats de luminosité, contenus et intérieurs. Le verre vibre doucement. Sur les verres réfléchissants qui ornent les murs extérieurs de l'abbatiale, quelques reflets apparaissent quand le soleil se montre davantage. Les vitraux prennent les teintes bleutées du ciel, celles roses et chaudes des demeures voisines, et puis le vert de la végétation. Les reflets sont discrets, mobiles. Ils changent de place, de forme, avec le déplacement de leur spectateur. Ils sont d'une teinte plus ou moins saturée, un mélange de gris et de couleurs chaudes ou froides où l'œil les perçoit à peine.

Alors, le vitrail se fait lumineux, non pas trou de lumière, mais surface de lumière; car les rayons solaires ne le percent jamais, ils sont contenus et comme maîtrisés par le verre épais des vitraux. Ténues, discrètes, de fines modulations commencent à se faire jour. D'abord à peine bleutés, roses, violines, verts ou dorés, les verres se colorent, varient, prennent un autre ton jusqu'à affirmer leur teinte.

Certains vitraux retiennent l'attention: traversés de plusieurs teintes, ils composent avec des tonalités variables, le rose et le violine, le clair et le foncé. La saturation des couleurs semble dépendre de la composition du verre. Plus dense est le verre, plus intense est la couleur. Transformations lentes des vitraux, étonnantes : les verres se sont couverts uniformément de couleur. Ceux-ci se font pâles réflecteurs d'un côté et de l'autre ils s'enduisent des couleurs de l'environnement. Entre ces deux faces, il y a la masse épaisse et composite du verre, un amalgame de plans cristallins qui diffractent les rayons lumineux, qui répandent la couleur sur toute leur surface. C'est l'entour de l'abbatiale qui transforme les vitraux, les investit en les teintant de ses propres couleurs.

Les vitraux prennent les teintes, la luminosité changeante du village. Et, de ce paysage extérieur, ils retiennent dans l'abbatiale que les qualités les plus subtiles de la couleur et de la lumière.

Les vitraux sont un art du temps, ils changent, suivent le mouvement cyclique, journalier et annuel, du soleil.

Les couleurs évoluent doucement au fil des jours, des saisons. Les vitraux sont solaires, étroitement dépendants de son apparence, de son action. Le temps et le soleil sont si importants pour déterminer l'apparence des vitraux qu'il nous faut attendre ou revenir encore pour voir les verrières de Conques. Le temps de suivre le parcours des lignes, de regarder les couleurs des verres, leurs variations avec patience et attention ou simplement de se laisser saisir, étonner par le spectacle qui s'offre à nos yeux. Les vitraux nous inviteraient donc à une certaine façon de nous comporter, de regarder, de prendre du temps, à une manière d'être plus attentifs et plus sensibles. Bouger, c'est donc modifier les couleurs du vitrail vu sous un angle différent, transformer notre perception.

Nous sommes ainsi étrangement responsables de ce que voyons, de ce que, attentifs ou non, nous acceptons ou pas de voir.