Leur histoire, c'est d'abord la recherche d'un verre, de celui qui permettra à la lumière de passer, d'illuminer l'espace pour en montrer les formes élancées, les couleurs variables. Pierre Soulages veut éclairer Sainte-Foy, donner à voir ses pierres, ses lignes, l'abbatiale qu'il connaît depuis longtemps, avant la pose des vitraux de Francis Chigot. Maîtrisant souvenirs et émotions, c'est le mètre à la main qu'il refait la visite. Il veut étudier l'architecture, en mesurer les étendues, les ouvertures, en comprendre l'orientation et la luminosité, celle que les nombreuses baies de l'édifice semblent modeler avant le travail du vitrail.
Regarder l'abbatiale sans se laisser guider par la passion pour en respecter le plus possible les caractéristiques formelles, voici la principale préoccupation du peintre, celle qui oriente d'emblée ses travaux, nous dit-il.
Plutôt qu'imposer leurs marques, les vitraux devront épouser Sainte-Foy, accompagner ses formes et sa lumière. Pour obtenir l'éclairage désiré, Pierre Soulages est donc parti très tôt en quête d'un verre. Celui-ci devait répondre à plusieurs exigences. Il devait laisser passer une grande quantité de lumière extérieure. Il lui fallait également donner à voir l'espace tel qu'il est, ne pas en modifier les teintes, mais au contraire les mettre en valeur en assurant leur visibilité. Et parce que le vitrail est un écran opaque, qu'il ferme et isole l'espace religieux, le verre avait pour tâche de gommer l'extérieur, de le rendre invisible.
Leur Incolore, diffuseur et clôturant, il fut difficile à trouver. Alors, en l'absence du matériau souhaité, l'artiste décida de créer un nouveau verre.
Avec l'aide technique apportée par le CIRVA de Marseille et les ingénieurs du centre de recherches de Saint-Gobain. Conceptions et essais se sont succédé durant une année avant qu'apparaisse, le 3 avril 1989, le verre incolore, capable de diffuser une grande quantité de lumière et de gommer l'espace extérieur. Un matériau étranger à nos habitudes visuelles, un ensemble complexe et hétérogène, car il est la somme amalgamée de deux verres: celui ordinaire, liquide en surfusion durci par le refroidissement, et celui cristallisé, opacifié par la dévitrification. Dans les laboratoires, la fabrication de cette combinaison verrière s'est faite en plusieurs phases. Un premier matériau a été réalisé; concassé, il a été ensuite exposé à une température maîtrisée.
Les grains de verre se sont ramollis, ont adhéré les uns aux autres, se sont agglomérés et à leur interface s'est produite une cristallisation. Il fallait en effet produire de façon artisanale suffisamment de verre pour couvrir les 263 m2 d'ouvertures de l'abbatiale. Ce n'est ni en France ni en Italie qu'il fut découvert, mais en Allemagne, à Rheine.
Pour jouer de variations, le grain a pris des dimensions différentes; ainsi la cristallisation a-t-elle été augmentée ou réduite et le passage de la lumière modulé, plus ou moins diffracté dans la masse épaisse et labyrinthique du verre obtenu. Conçu et réalisé, le matériau demandait encore un fabricant. Huit mois plus tard, les premières plaques arrivaient dans l'atelier toulousain. Épaisses d' 1 cm au maximum, elles étaient longues d' 1,50 m et larges de 90 cm.
De lourdes plaques de verre dont on avait fait varier la composition granuleuse afin d'obtenir de fines modulations, des passages en douceur d'une texture à l'autre, d'une densité de cristallisation à l'autre. Cuites dans des moules, ces plaques de verre avaient également l'avantage de présenter deux faces différentes; l'une au contact de la flamme était devenue lisse et brillante, l'autre dans le moule avait gardé sa douce granulation.
Un verre à double face et variable qui assurait en fait l'intégration des vitraux à l'architecture. Textures et brillances en communion, le verre semblait déjà correspondre à l'abbatiale; sa transformation sous l'effet du soleil marquerait définitivement l'intégration des vitraux au site et à l'architecture conquois.