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L’approche participative de Coen Beeker à Ouagadougou

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L'approche participative de Coen Beeker à Ouagadougou

Texte de Philippe Genois-Lefrançois

À l’ouverture des cartons de la Collection African Architecture Matters du CCA, le chercheur est plongé dans une multitude de documents issus des travaux de l’urbaniste néerlandais Coen Beeker en Afrique, notamment au Burkina Faso.On y compte des études et rapports variés conçus par les pouvoirs administratifs burkinabés sur divers projets urbains initiés par Beeker; des communiqués sur le bon fonctionnement des travaux sur le terrain; de multiples documents cartographiques, dessinés à la main ou imprimés, produits par des firmes non gouvernementales ou par les autorités locales; des photos aériennes datées et des photographies argentiques anonymes; de nombreux contrats et, enfin, une fraction de la bibliothèque personnelle de Beeker.

Bien que ce dernier ait participé à des programmes de coopération internationale axés sur l’habitat spontané en Éthiopie, au Soudan et en Tunisie, c’est à Ouagadougou, à partir de la fin des années 1970, que l’urbaniste connaît un véritable épanouissement professionnel. Il y développe une approche de restructuration des quartiers spontanés axée sur la participation populaire, la Méthode d’Aménagement Progressif (MAP),

La MAP vise à améliorer les conditions de vie des ménages par l’attribution d’un titre foncier réglementaire. L’insécurité foncière est considérée à l’époque comme principal frein à l’amélioration du logement. Le planificateur propose de laisser les ménages sur place et de restructurer la trame viaire en modifiant le moins possible le tissu physico-social existant. Suite à une consultation des habitants, un plan d’aménagement délimitant les espaces privés et public est implanté et les parcelles sont attribuées. Les habitants doivent aménager leur parcelle par leur propre initiative, à l’intérieur d’un délai fixe. La seconde étape, la fourniture d’équipements et d’infrastructures, est alors confiée à l’État

qui aura un effet marquant sur la capitale burkinabé jusque dans les années 1990.

Carte de Ouagadougou, Burkina Faso, 1968. Collection African Architecture Matters, CCA. ARCH279650

L’implication professionnelle de Beeker dans le Sud global

Le Sud Global réfère aux régions également connues sur les vocables de tiers-monde ou pays en développement.

suivait une approche participative,

Antoni Folkers et Iga Perzyna, The Beeker method: planning and working on the redevelopment of the African City : retrospective glances into the future, Leiden, Afrika-Studiecentrum, 2017.

notamment dans le cadre du programme de lotissement des quartiers d’habitat spontané de Ouagadougou. Beeker misait sur la démocratisation de l’urbain par un processus de consultation en amont auprès des populations touchées par les opérations d’aménagement, afin de leur offrir une voix dans le processus de réflexion et de planification. Les bénéficiaires étaient également invités à participer à la mise en œuvre du lotissement en aménagement leur parcelle privée. Cette idée d’autoaménagement découle d’un changement de discours, au milieu des années 1970, au sein de grandes institutions de développement internationales dont la Banque mondiale et Habitat, qui définissent dès lors l’insécurité foncière comme un frein principal à l’amélioration du logement.

Source : Annick Osmont, La Banque mondiale et les villes : du développement à l’ajustement, Paris, Éd. Karthala, 1995.

La Méthode d’Aménagement Progressif de Coen Beeker et son approche envers les quartiers urbains d’habitat spontané s’intègrent dans la mouvance de l’urbanisme participatif dont les premiers efforts de théorisation et de normalisation remontent au milieu des années 1960. Les archives de Beeker démontrent comment le concept de participation des masses s’est articulé dans le projet de restructuration urbaine de Ouagadougou, dans le contexte de l’arrivée au pouvoir du Conseil National de la Révolution de Thomas Sankara en août 1983. Le régime sankariste semble marquer une fracture avec le passé dans la vision et les méthodes urbanistiques au Burkina Faso, précisément à l’époque où l’implication de Beeker gagne en importance.

Le capitaine Thomas Sankara, chef du Conseil National de la Révolution, prend le pouvoir de la Haute-Volta le 4 août 1983 qu’il rebaptisera le Burkina-Faso, Le pays des hommes intègres. Il instaure un régime volontariste hybridant pensée marxiste-léniniste et nationalisme africain. Sankara est assassiné le 15 octobre 1987 lors d’un coup d’État portant au pouvoir son ancien camarade et représentant du Front Populaire, Blaise Compaoré.

Le développement de la capitale burkinabé est, tout au long de son histoire, intimement lié au contexte politique du pays. Durant la période coloniale, de 1919 jusqu’à l’indépendance, seuls les quartiers centraux de Ouagadougou destinés aux fonctionnaires principalement français sont lotis et équipés. Suite à l’indépendance du pays en 1960, l’aménagement du territoire est caractérisé par le laissez-faire, et le lotissement n’est effectué que de manière ponctuelle, en réponse aux intérêts des élites traditionnelles en bons termes avec les autorités politiques en place. Le début des années 1980 est une période d’instabilité politique au Burkina Faso, caractérisée par de multiples coups d’État, culminant en 1983 par l’arrivée au pouvoir de Thomas Sankara et de son Conseil National de la Révolution (CNR). À l’époque, le développement urbain de Ouagadougou n’est pas guidé par un plan précis, et quelque 30 000 lotissements ponctuels sont les seuls outils de planification territoriale à l’échelle de la capitale6. Les archives de Coen Beeker contiennent très peu de documentation sur la période précédant le milieu des années 1970, mise à part un plan de la capitale datant de 1968 qui, en outre, ne représente pas les aires d’habitat spontané dont l’existence est pourtant avérée.

Coen Beeker débute son implication à Ouagadougou en 1978, dans le cadre d’un programme de coopération bilatérale entre les Pays-Bas et le Burkina Faso Beeker et son équipe travaillent alors sur une méthode innovante de restructuration des quartiers d’habitat spontané et de réhabilitation politique de leur population dans la ville légale7 par le lotissement et la fourniture de sécurité foncière. Ils implantent alors dans le quartier d’habitat spontané ouagalais de Wagadogo, un projet pilote initié par l’Université d’Amsterdam sous financement de La Haye, encourageant l’adoption d’une vision globale et à long terme de l’aménagement du territoire de Ouagadougou.

Photo aérienne du quartier Wagadogo de Ouagadougou, Burkina Faso, 1978. Collection African Architecture Matters, CCA. ARCH279721

Photo aérienne du quartier Wagadogo de Ouagadougou, Burkina Faso, 1978. Collection African Architecture Matters, CCA. ARCH279722

Photo aérienne du quartier Wagadogo de Ouagadougou, Burkina Faso, 1978. Collection African Architecture Matters, CCA. ARCH279720

Photo aérienne du quartier Wagadogo de Ouagadougou, Burkina Faso, 1978. Collection African Architecture Matters, CCA. ARCH279719

Photo aérienne du quartier Wagadogo de Ouagadougou, Burkina Faso, 1978. Collection African Architecture Matters, CCA. ARCH279718

À l’aube des années 1980, la ville irrégulière et non lotie qui encercle la ville centre de Ouagadougou est dépourvue de services et d’équipements, et elle présente pour les autorités locales et les institutions d’aide internationale un risque croissant de congestion urbaine et de taudification. Le projet pilote de Beeker ne concerne qu’un quartier, mais il tente déjà d’encourager les autorités locales à adopter une vision globale et à long terme de l’aménagement territorial de Ouagadougou. Des photographies aériennes prises en 1978 par l’Institut Géographique de la Haute-Volta fournissent une vue d’ensemble du phénomène des quartiers irréguliers de Ouagadougou. Grâce à ces images, l’équipe de Beeker produit des schémas et cartes illustrant, pour la première fois au Burkina Faso, la présence de zones d’habitat spontané et l’importance de leur emprise spatiale aux marges de la ville lotie. En jumelant l’analyse des photographies aériennes à des visites de terrain, l’équipe dresse également un état des lieux cartographique précis de la morphologie et du cadre bâti en place, faisant ainsi un diagnostic du terrain existant dans l’optique de produire des propositions d’aménagement les plus cohérentes possible avec le tissu urbain et social.

La carte en tant qu’objet représente à la fois un outil de communication et un levier politique. Le fait d’exprimer de manière spatiale tangible l’existence de quartiers d’habitat spontané en reconnaît l’existence sociale concrète sur un territoire, franchissant la première étape d’un projet de participation populaire. Les habitants des quartiers représentés sont ensuite invités par l’équipe de Beeker à se prononcer relativement à différentes propositions de trames urbaines pour les quartiers à restructurer, parmi lesquelles une majorité préfère une grille orthogonale. C’est donc cette grille que l’équipe de Beeker propose aux autorités ouagalaises pour guider la restructuration des quartiers irréguliers de la capitale. Les bénéficiaires sont finalement appelés à participer à l’exécution des travaux, en auto-aménageant leur parcelle et en construisant eux-mêmes leur logement, si nécessaire. Les chefs coutumiers se voient également proposer un rôle significatif dans la planification, la gestion et l’encadrement des travaux parcellaires.

Plan de la condition actuelle du quartier Wagadogo de Ouagadougou, Burkina Faso, v. 1978. Collection African Architecture Matters, CCA. ARCH279716

Plan de Ouagadougou et ses banlieues, Burkina Faso, v. 1978. Collection African Architecture Matters, CCA. ARCH279649

Photocopie de photographies aériennes d’une banlieu de Ouagadougou, Burkina Faso. Dans Coen Beeker, Report on the urban planning of Ouagadougou area, Burkina Faso, 1978. Collection African Architecture Matters, CCA. ARCH279642

Carte d’un développement suburbain de Ouagadougou, Burkina Faso, 1978. Collection African Architecture Matters, CCA. ARCH279656

Carte d’un développement suburbain de Ouagadougou, Burkina Faso, 1978. Collection African Architecture Matters, CCA. ARCH279657