Vikram Bhatt sur une cité construite par ses habitants
On ne peut pas être qu’architecte, me suis-je dit. L’idée est de devenir un sthapati comme il est écrit dans les textes canoniques. . . .« être un yogi, sentir les vibrations de chaque élément du cosmos, y compris les matériaux et l’utilisateur de cet espace. »1 —Balkrishna Doshi
Balkrishna Doshi. Peinture miniature en perspective d’une rue animée, logements sociaux d’Aranya, Indore, Inde, 1990. Fonds Minimum Cost Housing Group, CCA. ARCH280274. © Balkrishna Doshi
Balkrishna Doshi a commencé sa formation d’architecte en travaillant à Paris avec Le Corbusier de 1951 à 1954, avant de retourner en Inde pour superviser les projets influents de ce dernier à Ahmedabad et créer sa propre agence, Vastushilpa, également à Ahmedabad, en 1956. Dès le début de sa carrière, Doshi s’est impliqué dans la conception de projets d’habitation, notamment des logements sociaux pour le personnel de l’Ahmedabad Textile Industry Research Association (ATIRA). Dans les premières années de l’indépendance de l’Inde, le gouvernement a collaboré avec des entreprises privées pour lancer de nombreux projets nationaux de construction, par exemple le Physical Research Laboratory, la Gujarat State Fertilizer Corporation, l’Indian Farmer’s Fertilizer Company et la Madhya Pradesh Electricity. Ces entreprises étaient souvent situées dans des lieux reculés pour des raisons stratégiques, en particulier l’accès aux ressources, et devaient par conséquent bâtir des hébergements pour leurs employés. Doshi a conçu plusieurs cités industrielles pour ces clients, mais contrairement aux projets de logements sociaux en Inde qui étaient souvent austères, ceux de Doshi débordaient de vie; son architecture permettait à la vie quotidienne de se poursuivre et favorisait l’épanouissement des communautés. Dans son œuvre imposante, c’est avec les projets d’habitation que Doshi s’est le plus approché de la concrétisation de sa vision d’un rôle plus vaste de l’architecte fondé sur la notion de sthapati.
Minimum Cost Housing Group et Vastushilpa Foundation. Elévation de rue basée sur l’étude des quartiers informels d’Indore, logements sociaux d’Aranya, Indore, Inde, 1990. Fonds Minimum Cost Housing Group, CCA. ARCH280278
Balkrishna Doshi, architecte. Logements sociaux d’Aranya, Indore, Inde, 1989. Une plateforme multi-usages, novembre 1995. Photographie par Vikram Bhatt. Fonds Minimum Cost Housing Group, CCA. ARCH280283
Un tel rôle nécessitait une attention particulière aux conditions locales, tant matérielles que climatiques, une démarche que Doshi a appliquée rigoureusement à tout son travail. Ainsi, la rareté en Inde de l’acier et du ciment, par exemple, a obligé Doshi à expérimenter des technologies de construction et des matériaux locaux comme la brique et la pierre. Dans le projet de l’ATIRA, il s’est servi de briques sous forme d’un système simple et régulier de murs porteurs soutenant une structure de toit en voute. Comme la plus grande partie de l’Inde est située sous les tropiques et que les couts de l’énergie sont particulièrement élevés, un design qui tient compte du climat, en particulier au niveau de la ventilation naturelle, est essentiel. Doshi s’est attaqué à ce défi climatique à différents niveaux, de la collectivité au bâtiment individuel, des matériaux aux dispositifs et, ce faisant, a contribué de manière considérable à l’élaboration de modèles pour l’architecture tropicale dans le monde entier. Il a réalisé des projets de logements de toutes tailles, certains pouvant accueillir plusieurs centaines de familles, voire quelques milliers, tout en concevant chacun d’entre eux comme un ensemble cohérent et autosuffisant, dans lequel les commodités et services étaient partagés. Doshi y est arrivé en agrégeant des unités domiciliaires pour créer des paysages urbains de faible hauteur (la plupart du temps de deux à trois étages) à haute densité.
Minimum Cost Housing Group et Vastushilpa Foundation. Plan figure-fond, logements sociaux d’Aranya, Indore, Inde, 1990. Fonds Minimum Cost Housing Group, CCA. ARCH280275
Minimum Cost Housing Group et Vastushilpa Foundation. Étude des espaces ouverts conçus pour encourager l’activité économique autour des habitations, logements sociaux d’Aranya, Indore, Inde, 1990. Fonds Minimum Cost Housing Group, CCA. ARCH280276
Minimum Cost Housing Group et Vastushilpa Foundation. Étude d’un espace de service collectif typique, logements sociaux d’Aranya, Indore, Inde, 1990. Fonds Minimum Cost Housing Group, CCA. ARCH280277
Un vaste pourcentage des populations urbaines en Inde est constitué d’ouvriers et de nouveaux migrants (« l’autre moitié ») qui manquent de possibilités pour se loger en ville et vivent donc souvent dans des habitations de fortune. Pour répondre au défi de l’accès au logement, Doshi a créé en 1978 la Vastushilpa Foundation parallèlement à son activité d’architecte. L’organisme fonctionne comme un lien entre universitaires et professionnels, dans le but de mener des recherches sur les méthodes d’amélioration des qualités environnementales des établissements humains en Inde, en particulier ceux de la population pauvre. Par exemple, de la fin des années 1970 à la fin des années 1980, sa fondation a collaboré à différents projets avec le Minimum Cost Housing Group de l’Université McGill, fondé en 1971 avec pour mission la conception et la recherche de bâtiments durables et à faible cout dans les pays en développement. Ensemble, ils ont mené une étude approfondie sur le logement informel dans la ville d’Indore, dans le centre de l’Inde, qui a documenté en détail le fonctionnement de ces communautés et les méthodes de construction déjà utilisées par « l’autre moitié ». En particulier, c’est sous les auspices de la Vastushilpa Foundation plutôt que de son agence que Doshi a choisi de réaliser la commande du projet des logements sociaux d’Aranya, au début des années 1980, et les chercheurs du Minimum Cost Housing Group ont participé à et documenté toutes les étapes de son développement.
Cet entretien a eu lieu dans le cadre de l’exposition Le processus du SAAL : Le logement au Portugal de 1974 à 1976, présentée en 2015.