Images du pouvoir : la rhétorique visuelle de la présidence des États-Unis

Au tournant du XIXe siècle

Au cours des deux derniers siècles, le pouvoir politique aux États-Unis s’est principalement exercé par la parole, les discours véhiculés par les législateurs et les présidents faisant l’objet central du reportage politique. En vue de simplifier un sujet complexe, cet article se concentre sur le discours présidentiel comme leitmotiv illustrant la question suivante : comment la « visualisation » progressive du discours politique (c’est-à-dire sa transformation d’un genre littéraire en un genre iconographique) par les médias visuels de masse a fondamentalement changé, plus précisément comment elle est parvenue à masquer et à orienter le processus politique, et ce, bien avant l’avènement de la télévision (comme la plupart des études en la matière semblent le supposer), puisqu’elle remonte à l’apparition, près d’un siècle auparavant, des journaux illustrés, quotidiens ou hebdomadaires. L’influence considérable de la presse illustrée des débuts sur la politique américaine peut être démontrée éloquemment en comparant les événements discursifs de deux périodes historiques différentes.

Au tournant du XIXe siècle, le reportage sur le discours présidentiel constituait une affaire purement littéraire, tel qu’on peut le voir dans un journal grand format décrivant le premier discours inaugural de Thomas Jefferson, vendu dans les rues le jour de son investiture : ce qui comptait alors, c’était le verbe imprimé, pas l’apparence visuelle. Abraham Lincoln pouvait encore se permettre de porter des costumes froissés par-dessus des chemises trempées de sueur sans que cela n’affecte sa carrière. Mais avec l’apparition de la presse illustrée après la guerre de Sécession, la dimension visuelle du discours présidentiel commença à rivaliser avec son aspect littéraire. En 1907, à la tradition du discours présidentiel purement verbal et sans images, certaines publications répliquèrent par des images présidentielles sans paroles, comme l’illustre cette double page du Harper’s Weekly. Les photographies sont agencées en un discours visuel complexe qui commence par le discours d’investiture avec un portrait de face et se termine par la conclusion avec une prise de vue de dos de Roosevelt, le reste de la séquence visuelle consistant en des vues symétriques de profil se répondant. Nous avons là un des premiers exemples d’une édition illustrée de divertissement qui, au début des années 1900, commençait à générer un type nouveau de spectacle esthétique imprimé. La teneur du discours de Theodore Roosevelt documenté ici n’est pas révélée au lecteur et ne semble d’ailleurs plus être importante. Roosevelt en était conscient, et sa performance oratoire emphatique visait délibérément à séduire les appareils photo des journalistes.

Par Ulrich Keller  -  2009

Ben Schnall, photographe.

Vue de la cérémonie d’inauguration du John F. Kennedy Educational Civic and Cultural Center, Mineola, New York, 1968. PH1999:0073:005