Kathrine Switzer

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Kathrine Switzer

Naissance

5 janvier 1947
Amberg, Allemagne

En avril 1967, quand les femmes n’avaient pas le droit de courir, c’est sous le pseudonyme de K.V. Switzer qu’une femme participait officiellement pour la première fois au marathon de Boston.

Kathrine Switzer, comme Roberta Gibb, Merry Lepper et Julia Chase-Brand, fait partie d’une génération de pionnières qui va révolutionner la course au féminin. Au milieu des années 1960, la plupart des marathons sont réservés aux hommes, dont ceux de Boston et des Jeux Olympiques. La pensée répandue à cette époque était que les femmes n’avaient pas l’endurance nécessaire pour courir de longues distances, et que l’exigeant entraînement pour ce genre d’épreuves pouvait faire tomber leur utérus, les rendre infertiles ou encore provoquer des changements corporels qui les masculiniseraient.

« C’est absurde, parce que la force des femmes, c’est justement leur endurance », fait remarquer Kathrine Switzer.

Le marathon de Boston va finalement s’ouvrir aux femmes en 1972, et celui des Jeux olympiques, en 1984. Dans les deux cas, Kathrine Switzer s’est trouvée au coeur des pressions qui ont mené les marathons à se courir au féminin.

Quand Kathrine Switzer commence à courir avec le club de cross-country de l’Université de Syracuse à l’automne 1966, elle a déjà entendu parler de l’histoire de Roberta Gibb qui, en avril de la même année, a intégré le peloton du marathon de Boston après être sortie du buisson où elle se cachait. L’entraîneur de Kathrin Switzer à Syracuse, Arnie Briggs, partageait les préjugés de l’époque à propos de l’endurance des femmes. Vétéran de 15 marathons de Boston, il refuse initialement la demande de la jeune coureuse de 20 ans de prendre part à celui d’avril 1967.

« Arnie m’a dit qu’aucune femme ne pouvait courir le marathon de Boston, raconte Kathrine Switzer. Je lui ai alors parlé de Bobbi Gibb, dont j’avais lu l’histoire dans les journaux, mais il ne pouvait pas le croire. Il m’a cependant dit que si je pouvais courir la distance à l’entraînement, il m’aiderait à m’inscrire au marathon de Boston, pourvu que cela soit fait dans les règles. »

Switzer s’entraîne fort pendant l’hiver, de telle sorte que trois semaines avant la tenue du marathon prévu le 19 avril 1967, elle court son premier 42,195 km - ou 26,385 miles dans la bouche de l’Américaine - à l’entraînement. « Je ne me suis pas arrêtée là. Je voulais prouver que j’avais de l’endurance, alors j’ai couru cinq kilomètres de plus ». Son entraîneur honore sa promesse. Switzer fouille le livre de règlements du marathon de Boston. « Il n’y avait rien qui interdisait à une femme d’y participer », se souvient Switzer.

La jeune coureuse de 20 ans produit un certificat médical conforme et s’inscrit en utilisant ses initiales, comme elle le faisait toujours, assure-t-elle : K. V. Switzer. L’escamotage de son prénom lui permet d’obtenir son dossard, le numéro 261, et l’assurance qu’elle pourra prendre le départ.

Boston le 19 avril 1967, sur la ligne de départ, K.V. n’est pas seule. Son entraîneur et un autre membre de l’équipe l’accompagnent ainsi que son petit ami de l’époque, Tom Miller. Même si son nom est camouflé parmi les 741 présents sur la liste officielle, K.V. n’est pas pour autant déguisée. Switzer tenait à affirmer sa féminité : elle arbore maquillage et rouge à lèvres, ses cheveux qui lui arrivaient aux épaules simplement retenus par un serre-tête. Son short et son haut bourgogne restent toutefois cachés sous son survêtement grisâtre, le froid ayant vaincu une partie de ses résolutions.

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Kathrine Switzer au départ de la course. (JDD)

Switzer et son groupe adoptent un rythme confortable et laissent les meneurs s'époumoner au loin pour la victoire. Ils n’ont complété que les premiers kilomètres de l’épreuve quand le véhicule-plateforme sur lequel les journalistes et photographes de presse suivent la course quitte les premiers coureurs pour remonter le peloton jusqu’au groupe de K.V. Switzer.

Humilié l’année précédente par la présence de Roberta Gibb sur son parcours, Jock Semple remarque en même temps que les photographes amusés qu’une femme est non seulement à nouveau en train de courir avec les hommes, mais qu’elle porte en plus un numéro officiel. Pour le populaire directeur du marathon de Boston, l’insulte est double.

« Sors de ma course et donne-moi ton numéro! », cria Jock Semple en courant vers Switzer et en tentant de lui arracher son dossard.

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Jock Semple (en noir) qui tente d'arracher son dossard à Kathrine Switzer lors du marathon de Boston en 1967. (Ici.radio-canada)

« Il était fou de rage. J’avais tellement peur », avoue Switzer.

Elle évite Semple une première fois, mais il persiste et agrippe l’arrière de son chandail en continuant de la menacer, sans écouter les demandes d’Arnie Briggs, qui le connaissait bien, de laisser sa protégée tranquille. L’assaut se termine par l’intervention de Tom Miller, qui envoie le sexagénaire valser sur le bas-côté de la route d’un solide coup d’épaule.

Face au refus du CIO d’ouvrir la participation des femmes aux JO, Alice Milliat décide d’organiser des Jeux olympiques féminins. La première édition se déroule en 1922 au stade Pershing à Paris et rassemblee 77 athlètes venues de cinq nations. (Ouest-France)

Sous le choc, le groupe fuit la scène en augmentant vivement le rythme de sa course et en laissant momentanément derrière lui les véhicules de la presse et des organisateurs, qui le rattrapent quelques instants plus tard. Les questions des journalistes sont incisives, et les menaces de représailles de Semple se poursuivent, sans agression physique cette fois, pendant un moment avant que les deux véhicules ne laissent finalement K.V. Switzer tranquille.

Après 4 heures et 20 minutes, un temps bien modeste par rapport à son record personnel de 2 heures 51 minutes en 1975, Kathrine Switzer devient la première femme à compléter le marathon de Boston avec un dossard officiel… mais elle est disqualifiée par la direction de la course, puis suspendue par l’AAU. Son histoire et les photographies de l’incident avec Jock Semple vont faire le tour du monde, mais la contribution de Kathrine Switzer à l’avancement du sport féminin ne fait que commencer.

Switzer est au cœur de toutes les luttes qui vont culminer avec le premier marathon olympique féminin en 1984. Switzer milite d’abord dans le mouvement qui va conduire le marathon de Boston (comme le jeune marathon de New York qui s’ouvre aux femmes dès sa deuxième édition en 1971) à finalement inclure les coureuses officiellement en 1972, malgré le refus de l’AAU de lever sa propre interdiction. Neuf femmes – dont Switzer, qui court alors le marathon de Boston pour la quatrième fois – participent à cette première. L’an dernier, elles étaient 14 112.

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En 1984, Joan Benoit remporte l'or en 2 heures 24 minutes et 52 secondes lors du premier marathon féminin disputé aux JO. (Europe1)

Cette même année, elle prend sa retraite et entame une fructueuse carrière d’organisatrice de marathons avec le soutien d’Avon. Séduit par la proposition de Switzer d’organiser une série de marathons internationaux réservés aux femmes, Avon engage la jeune retraitée de 30 ans. En 1978, quand Switzer organise son premier marathon à Atlanta, des femmes de neuf pays répondent à l’appel.

Avec la représentativité accrue des femmes dans les marathons internationaux, tous les éléments sont en place au début des années 1980 pour que le Comité international olympique ajoute à son programme le 42,195 km féminin. La dernière bataille est livrée à Los Angeles en 1981, où Switzer poursuit son travail de lobbyiste auprès des membres du CIO. À 70 ans, la voilà à retrouver le parcours de Boston, là où tout a commencé pour elle.

Aujourd’hui, le marathon de Boston a presque atteint la parité. L’an dernier, 45 % du peloton était constitué de femmes. Plus largement aux États-Unis, la proportion de femmes participant à des courses de fond a même dépassé celle des hommes, avec 58 % d’inscrites.

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Kathrine Switzer, qui a été la première femme à participer officiellement au marathon de Boston il y a 56 ans, porte le même numéro de dossard après avoir terminé la 121e marathon de Boston lundi.

Kathrine Switzer a bien sûr continué de courir. En 2017, lorsque la journaliste a courru pour la 9e fois le Marathon de Boston, 13 500 femmes y participaient. Quasiment la moitié du peloton. La plupart portaient, comme elle, le dossard 261. Son héritage ne mourra jamais. Par la suite, c’est sans doute l’amour qu’elle porta pour son sport, qui lui ont permis d’offrir le pardon. Elle qui dit n’avoir jamais détesté personne, va se réconcilier Jock Semple, avec lequel, elle a fini par devenir très amie. Grande Dame.