Pavillon Noir au crépuscule

Volonté conjointe

Pour permettre à cette compagnie de mener à bien toutes ses activités, un nouveau bâtiment a été construit grâce à la volonté conjointe du ministère de la Culture et de la Communication, de la direction régionale des Affaires culturelles, de la ville d’Aix-en-Provence, de la Communauté du pays d’Aix, de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur et du département des Bouches-du-Rhône. Il a l’ambition d’être le premier centre de production pour la danse où les artistes peuvent mener à son terme leur processus de création, du travail en studio à la représentation sur scène, mais aussi accueillir en résidence d’autres compagnies. Doté d’une salle de spectacles de 378 places, de quatre studios de danse (de 230 m2, 180 m2, 168 m2 et 100 m2), d’un foyer, de vestiaires et d’ateliers son et vidéo, il intègre également des espaces d’accueil, un plateau administratif et des salles de réunion.

Rétention de matière

« Les dimensions accordées au Centre chorégraphique national étaient limitées, on pourrait même dire limites, mais ce fut finalement une chance, car le projet existe, précisément, au travers d’une rétention de matière : il n’a que la peau et les os. Au moment de la conception du bâtiment, nous avons pris le parti de réduire la matière de la structure au minimum possible. »

– Rudy Ricciotti

Plan de coupe du Pavillon Noir

L’emplacement réservé au centre chorégraphique étant très étroit, « avec à côté un escalier énorme, une place énorme », le projet – qui souffrait selon son architecte de ce manque de place – s’est finalement nourri de ces contraintes. Occupant la totalité de la parcelle, le centre dont les fondations ont été réalisées sur semelles filantes est un bâtiment vertical de 18 x 36 m d’emprise au sol où seules les façades portent. Si les grandes portées des plateaux sont assurées par des planchers alvéolaires de 18 m de portée, ceux-ci ne devaient en aucun cas vibrer sous les pas des danseurs. Il s’est donc avéré indispensable d’installer un deuxième plancher en béton flottant monté sur des boîtes à ressorts pour répartir l’impact des danseurs et éviter la mise en vibration de la structure.

Contraintes structurelles : chorégraphie de chantier

La réglementation sismique en vigueur sur le site, avec l’application des règles PS 92 et du nouveau zonage sismique français, constituait une autre contrainte. Il fallait aussi composer avec une nappe phréatique qui remonte dans le sous-sol, au niveau de la salle de spectacles enterrée, et avec une voie ferrée mitoyenne à cette salle – une véritable nuisance sonore qu’il a fallu traiter.

Passant de 40 x 50 cm dans la partie basse du bâtiment à 30 x 30 cm au sommet, la section des poteaux obéit à cette même logique. Le contreventement général est assuré par les structures réticulées autostables des façades, les efforts dimensionnants étant liés aux sollicitations sismiques. Tous les éléments de façade participent ainsi à la stabilité de la structure, les barres inclinées assurant les descentes de charges et la stabilité du bâtiment.

L’ossature intègre des voiles de refend en structure réticulée et des poutres-voiles en béton armé. Des voiles d’une épaisseur de 25 à 75 cm forment l’ensemble des structures verticales situées en périphérie de la salle de spectacles, les façades porteuses réticulées étant composées d’éléments de béton armé de section variable, de 60 x 55 cm à 30 x 35 cm. Cette structure qui, vue de l’extérieur, donne son identité à l’édifice, est aussi très présente à l’intérieur. L’étage administratif la révèle par transparence et elle semble enserrer comme dans des sangles les escaliers conduisant à la terrasse technique en toiture. Elle est également très identifiable au niveau 4 qui accueille le grand studio de 150 m2, car c’est à ce niveau que trois poutres-voiles reliées à la structure extérieure traversent le bâtiment pour porter l’étage supérieur abritant les autres studios.

Si la structure a été modellisée par les architectes, en collaboration avec Serge Voline du bureau d’études SEV ingénierie, avec l’objectif de réduire la matière au minimum, le chantier est resté assez artisanal et le travail des maçons, des coffreurs, des ferrailleurs et des menuisiers vaut d’être souligné en raison de la précisions des ajustements exigés par la géométrie du bâtiment. La plus grande difficulté venait en effet de ce qu’il fallait concilier les impératifs techniques liés aux contraintes sismiques – qui, malgré la finesse des structures, imposaient des densités d’acier relativement conséquentes – et les attentes de l’architecte. Malgré les différences de section affectant les éléments structurels, ce dernier exigeait que la continuité des lignes soit assurée sans joint apparent et sans trous de tiges dans le béton, ce qui a conduit à serrer les banches de part et d’autre des poteaux.

Du béton, forcément

Le béton utilisé est un béton armé de type B30 et B35, teinté dans la masse. Dosé à 350 kg de ciment par mètre cube, il intègre 4 % de colorant noir de Pieri, un adjuvant et des granulats de la Durance. L’ensemble a été coulé en place dans des coffrages réalisés par l’entreprise dans ses ateliers. Les aciers ont été encoffrés avec un axe d’inclinaison mis en place par optique, l’insertion de mannequins en bois dans les banches entre les poteaux permettant de former les vides. Grâce à ce système de mannequins, les vides ont été coffrés à l’avancement par hauteurs de niveau, sachant que la hauteur d’étage atteint 5 m en règle générale et 8 m au dernier niveau. L’intégration des poutres de rive s’est faite sur toute la longueur des pignons et par demi-longueurs sur les façades principales. « Une construction comme celle-ci ne pouvait être qu’en béton et un travail aussi pointu ne pouvait se faire qu’avec une entreprise capable de mettre son savoir-faire au service du projet, ajoute Timan Reichert, qui insiste au passage sur les compétences de José Oliveira, chef de chantier chez Léon Grosse.

Le bétonnage a été exécuté avec minutie, poteau par poteau, un microvibreur étant intégré dans chaque poteau et remonté lentement pour garantir une unité de matière. L’une des difficultés a consisté à ajuster de 2 cm, en direct sur le chantier et grâce à une astuce de coffrage, l’un des angles de contact entre la résille extérieure et l’une des poutres voiles car ce détail s’avérait impossible à régler en dessin. Pour souligner partout et avec précision les angles et les arêtes, un soin tout particulier a été apporté à l’étape du décoffrage où les mannequins ont pu être découpés à la tronçonneuse chaque fois que nécessaire.

Un matériau brut et puissant

Reste que l’aspect brut du béton et la puissance de sa matière sont des composantes à part entière de l’écriture architecturale. Une écriture qui a tiré parti d’un aléa de chantier pour introduire dans la modénature de la façade sud un plissement d’où découle le dessin d’une double porte en béton pour l’accès des danseurs, ouverte sur cette même façade. Au stade des finitions, un brossage manuel de la structure a permis d’estomper la carbonation à l’acide avant d’appliquer une protection hyfrofuge.

Plan de coupe du Pavillon Noir