Le parcours est construit selon quatre espaces correspondant aux quatre thèmes
traités dans l’exposition : prison, passion, péril, possession. Ces termes se sont
imposés pour désigner de façon
générique l’ensemble des situations extrêmes
auxquelles un être peut se trouver confronté.
À l’image de l’exposition qui réunit sous la même dénomination de « manuscrits de
l’extrême » des textes, billets et notes écrits dans des conditions très différentes,
aucune contrainte de cheminement n’est imposée au visiteur : à partir de
l’espace central, il pourra choisir de commencer par l’une ou l’autre des sections.
Sous le thème Prison, l’exposition présente des manuscrits écrits dans des conditions de
détention liées à des activités politiques ou des faits de droit commun, ainsi que des archives de
la Seconde Guerre mondiale, associées à l’emprisonnement dans les camps de concentration.
Enfermé, donc privé des modes ordinaires de communication avec ses pairs, l’être humain use
de tous les moyens à sa disposition pour ne pas perdre totalement le contact avec le monde
extérieur. Pour continuer la rédaction de ses oeuvres en prison malgré les contraintes liées à ses
conditions de détention, Auguste Blanqui (1805-1881) développe une écriture microscopique qui lui
permet d’utiliser peu de papier et d’alléger d’autant le poids de ses colis.
La veille de son exécution, André Chénier (1762-1794) glisse ses derniers vers dans du linge pour
qu’ils soient transmis à son père, comme à l’habitude, par un gardien rémunéré : « deux étroites
bandes de papier, semblables aux marques que l’on met dans un livre », « pas plus épaisses, chacune,
que le tuyau d’une plume à écrire ».
Pour contourner les geôliers, il faut aussi ruser avec les techniques d’écriture : dissimuler son texte
en écrivant au jus de citron ou en le recouvrant d’encre comme le fit Sade entre 1784 et 1789 dans
sa correspondance alors qu’il était enfermé à Vincennes ou à la Bastille ; ou écrire en sténo comme
les déportés d’Esterwegen qui copiaient ainsi les messages radio écoutés clandestinement la nuit,
avant de faire passer les nouvelles à leurs camarades.
Quand l’encre ou le papier font défaut, le prisonnier invente d’autres moyens de passer outre le
silence auquel on voudrait le réduire. Latude (1725-1805), en prison à la Bastille, écrit une lettre avec
son sang, pour se plaindre de ses conditions de détention : « […] je vous écris avec de mon sang sur
du linge, parce que messieurs les officiers me refusent d’encre et du papier […].
Pour la période de la Seconde Guerre mondiale, les exemples abondent de textes écrits avec des
moyens de misère : Henri Fertet († 1943) et Alice Magnin (1899-1983) ont aussi fait usage de leur
propre sang.
Marie (1921-1943) et Simone Alizon (1925-2013) ont utilisé des papiers de récupération pour jeter
du train qui les menait en déportation les derniers billets adressés à leur père, quelques nouvelles
miraculeusement arrivées à leur destinataire.
Germaine Tillion (1907-2008) a rédigé sur un morceau de tissu sa lettre adressée au tribunal pour
assurer sa propre défense.
Jeannette L’Herminier (1907-2007) n’a plus lâché le petit bout de crayon trouvé par hasard, avec
lequel elle décida de continuer à dessiner ses camarades de Ravensbrück.
Un résistant, interrogé au siège de la gestapo, est parvenu à inscrire sa dernière adresse à sa
compagne et à ses compagnons de détention, sous l’assise du siège où l’on imagine qu’il a vécu le
pire.
Bernard Maître (1923-1944), lui, n’avait qu’une pointe d’épingle à sa disposition : elle lui a servi
à graver son message demandant du matériel pour s’évader : ne rien lâcher, jusqu’à ce que mort
s’ensuive...
Jeanne Cassier (déportée à Ravenscrück), après avoir recomposé un carnet à partir de bribes
de papier, y a écrit son journal de déportation, si petit qu’il ne lui laissait pas de place pour le
bavardage : comptage des morts, état des lieux des malades, liste des événements, description des
maigres rations...
Quant à Jean Cassou (1897-1986), privé de papier comme de crayon, il n’avait plus que sa mémoire
pour retenir les sonnets qu’il composa lors de sa détention à la prison militaire de Furgole.