Tout le monde, ou presque, connaît la chaise longue ou le fauteuil "grand confort" de Le Corbusier. Sauf que ces grands classiques du design du 20ème siècle sortent, en réalité, de l'imagination de sa collaboratrice, Charlotte Perriand. Une exposition rend justice à cette femme libre qui a traversé le 20e siècle sans jamais s'arrêter de créer, à une époque et dans un domaine prompts à effacer les femmes.
Charlotte Perriand a 23 ans quand elle commence à faire parler d'elle. Formée à l'école des Arts-décoratifs de Paris, elle se fait remarquer
avec les créations avant-gardistes imaginées pour son atelier sous les toits de Paris : Dès 1927, la presse est dithyrambique devant son 'bar sous le toit'. On loue la force et la créativité de cette jeune femme qui présente une architecture d'intérieur et des meubles résolument modernes
raconte Sébastien Cherruet, historien de l'architecture.
Son talent n'échappe pas à un jeune architecte à peine plus âgé qu'elle, Charles- Édouard Jeanneret-Gris, alias Le Corbusier, qui l'engage dans son agence et auprès de qui elle va apprendre l'architecture.
Dès lors, Charlotte Perriand va largement contribuer au travail du grand maître de l'architecture moderne en dessinant plusieurs pièces devenues cultes - mais passées à la postérité sous le nom de Le Corbusier, Jean Prouvé ou Pierre Jeanneret.
Car dans cette période de l'entre-deux-guerre, une femme dans un cabinet d'architecte, cela était rare - et peu vendeur. Les témoignages concordent : l'architecture était - et reste - un milieu fermé et viril, pour ne pas dire macho. "Il y avait peu de femmes dans ce milieu, parce qu'on leur a laissé peu de place, explique Sébastien Cherruet,commissaire de l'exposition qui, à partir du 2 octobre 2019, met en scène la création de Charlotte Perriand et de nombreuses oeuvres d'artistes qui l'ont entourée et inspirée à la Fondation Vuitton, à Paris. Il y en avait, pourtant, comme Lilly Reich ou Eileen Gray, mais elles étaient toutes "compagne de..." Comme elles, Charlotte Pierrand était toujours présentée en tandem avec un homme, Le Corbusier ou un autre, explique Michelle Perrot, professeure d'histoire contemporaire, au micro de nos confrères de France Inter.
Signe des temps, le grand maître de l'architecture qu'était Le Corbusier n'avait pas peur de paraître mysogyne. Ici, on ne brode pas de coussin
, annonçait-il à Charlotte Perriand lors de leur première rencontre.
Le message sous-jacent : l'architecture extérieure, c'est pour les hommes ; la déco intérieure, c'est pour les femmes. En 1946, encore, c'est ce qui transparaît encore dans cette lettre qu'il écrit à sa "chère Charlotte" :
Charlotte Perriand ne s'en formalisait pas. Elle semblait ne pas souffrir de voir son nom toujours gommé, se souvient sa fille aujourd'hui. Et pourtant, "au mieux, on l'associait à un autre nom, sous prétexte que ça ferait vendre davantage. Cet effacement du nom, c'est un effacement de la femme créatrice dans un monde d'hommes," s'indigne Michelle Perrot.
Aujourd'hui, , on sait que le célèbre fauteuil "grand confort" (ci- dessous) et la chaise longue basculante ont été dessinés par Charlotte Perriand. "Le Corbusier lui a donné ses modèles de référence et Charlotte a fait tout le reste !", confiait Jacques Barsac, gendre de Charlotte Perriand et spécialiste de son oeuvre, dans l’émission Une vie, une œuvre, diffusée le 13/05/2013 sur France Culture.
Après sa mort, en 1999, sa fille, Pernette Perriand-Barsac, et son époux Jacques Barsac en ont retrouvé les preuves en dessins dans les archives de la designeuse. Mais comme beaucoup de femmes qui, en leur temps, avaient malgré tout réussi à se faire une place, Charlotte Perriand a été oubliée de l'histoire et tout le monde attribue à Le Corbusier le "grand confort", passé dans l'ombre du maître. Comme bien d'autres de ses créations, nous explique l'historien de l'architecture Sébastien Cherruet