VIVIAN MAIER |
Vivian Maier, photographe, libre et à contre-jour |
Avant son "invention" - comme on le dit d’un trésor - par le documentariste John Maloof, Vivian Maier restait une parfaite inconnue. Du moins du grand public. Car à New York ou Chicago, certain.e.s s’en souviennent, tantôt avec gratitude, tantôt avec déplaisir. Ce sont les anciens enfants gardés par cette étrange nounou, gouvernante fantasque et photographe de grand talent. Voici sa biographie romancée. |
"Saisir la lumière des choses avant qu’elle ne s’efface" -ainsi parlait Basho, poète japonais, maître du haiku. "Prête à saisir l'insaisissable, l'éphémère" -ainsi Gaëlle Josse parle de son héroïne. |
©champsaur.net |
Une femme en contre-jour, paru aux éditions Notablia, est une biographie romancée de Vivian Maier, une enquête fouillée sur les zones d'ombre de cette femme précurseure des photographes de rues. Parution qui coïncide avec l’exposition The Color work, à la Galerie Les Douches à Paris : une découverte de ses clichés en couleur, moins connus que ses étonnants noir et blanc, qui décennies durant, captèrent les franges et la fange de la société américaine.
|
Chicago, janvier 1956 |
Le refuge de l'invisibilitéA son tour, Gaëlle Josse prend la relève, que la personnalité de Vivian Meier continue à fasciner. Née aux Etats-Unis d’une mère française et d’un père d’origine austro- hongroise, la jeune Vivian n’a pas une jeunesse facile. Famille désunie, dysfonctionnelle, élevée en partie par sa grand-mère maternelle, elle n’aura de cesse de se rendre invisible. |
Une aventurière, une femme libreCe que l’on connaissait moins jusqu’au livre de Gaëlle Josse, c’est son parcours de femme libre et aventureuse, dans l’Amérique corsetée des années 1950. Là où la biographie de Vivian Maier comptait des manques, l’écrivaine comble les vides. On connaissait le passé de nounou de Maier, boulot alimentaire lui donnant la liberté d’errer dans les quartiers défavorisés (parfois avec les enfants dont elle avait la charge), son éternel Rolleiflex autour du cou, on savait moins son ascendance française, ses histoires de famille, son héritage. Et son goût des voyages dont elle ramena tant de clichés extraordinaires d’humanité. |
Sans titre, 1954 |
Road tripsDès qu’elle a de l’argent, elle part. En 1959, elle travaille depuis déjà 3 ans pour une riche famille de Chicago, les Gensburg dont elle garde les trois fils. Elle a hérité de sa grand-tante un petit pécule et, en 1959, Vivian Maier prend le large. Elle informe ses employeurs qu’elle part pour un road-trip - ni le mot ni l’aventure ne sont encore à la mode, surtout pour une femme- et elle quitte Chicago pour une errance qui durera neuf mois. Yémen, Egypte, Asie : Thailande, Vietnam, Inde. Elle en ramène des clichés par milliers qu’elle développe dans sa salle de bain chez ses employeurs. Elle sait la valeur de ses photos. Elle essaie même de les faire développer de façon plus professionnelle en France, sans succès. |
Maudite de l'artAux yeux de Gaëlle Josse, Vivian Maier est une de ces nombreuses femmes maudites
de l’art, au même titre que Camille Claudel ou Séraphine de Senlis. Des
marginales que l'on isole, qui effraient et finissent dans le dénuement. C’est le cas de Vivian Maier. A 83 ans, elle a presque réussi sa tentative d’effacement d’elle-même. Elle n’est plus qu’une silhouette dépenaillée sur un banc, mangeant son repas à même
les conserves, à peine sauvée de la déchéance par les trois frères Gensburg. C’est la seule famille chez qui elle se fixa, dix-sept ans durant, et qui la considéra durant ces longues années comme un membre à part entière (ce qui ne les empêcha pas de s’en débarrasser sans trop d’état d’âme). |
Autoportrait (sans date) |
Sociopathie, troubles du comportement ?On peut hélas penser qu’à cette heure-là, ils sont bien les seuls, les frères Gensburg à regretter leur vieille gouvernante, acariâtre, voire maltraitante selon certains témoignages. Vivian Maier avait développé à la fin de sa vie une nette tendance à la paranoia. A la fin de son activité de nounou, elle est persuadée qu’on l’espionne, que ses employeurs rentrent dans sa chambre. Elle fait des scènes, certaines familles à bout la congédient. Héritage familial? |
©Estate of Vivian Maier, Courtesy Maloof Collection; |