CHARLOTTE PERRIAND |
Charlotte Perriand sur la « Chaise longue basculante, B306 » (1928-1929) |
Tout le monde, ou presque, connaît la chaise longue ou le fauteuil "grand confort" de Le Corbusier. Sauf que ces grands classiques du design du 20ème siècle sortent, en réalité, de l'imagination de sa collaboratrice, Charlotte Perriand. Une exposition rend justice à cette femme libre qui a traversé le 20e siècle sans jamais s'arrêter de créer, à une époque et dans un domaine prompts à effacer les femmes. |
Bar sous le toit avec un bar incurvé, des tabourets, un canapé et une table basse. Le mobilier en acier fait sensation, ainsi que les fauteuils en cuir bleu violet et rose. |
Son talent n'échappe pas à un jeune architecte à peine plus âgé qu'elle, Charles- Édouard Jeanneret-Gris, alias Le Corbusier, qui l'engage dans son agence et auprès de qui elle va apprendre l'architecture. Dès lors, Charlotte Perriand va largement contribuer au travail du grand maître de l'architecture moderne en dessinant plusieurs pièces devenues cultes - mais passées à la postérité sous le nom de Le Corbusier, Jean Prouvé ou Pierre Jeanneret. |
Jamais sans un hommeCar dans cette période de l'entre-deux-guerre, une femme dans un cabinet d'architecte, cela était rare - et peu vendeur. Les témoignages concordent : l'architecture était - et reste - un milieu fermé et viril, pour ne pas dire macho. "Il y avait peu de femmes dans ce milieu, parce qu'on leur a laissé peu de place, explique Sébastien Cherruet,commissaire de l'exposition qui, à partir du 2 octobre 2019, met en scène la création de Charlotte Perriand et de nombreuses oeuvres d'artistes qui l'ont entourée et inspirée à la Fondation Vuitton, à Paris. Il y en avait, pourtant, comme Lilly Reich ou Eileen Gray, mais elles étaient toutes "compagne de..." Comme elles, Charlotte Pierrand était toujours présentée en tandem avec un homme, Le Corbusier ou un autre, explique Michelle Perrot, professeure d'histoire contemporaire, au micro de nos confrères de France Inter. |
"Je ne crois pas qu’il soit intéressant en quoi que ce soit, maintenant que tu es mère de famille, et pour les raisons évoquées au début, de te proposer de t’astreindre à une présence d’atelier. Par contre, je serais très content que tu puisses insérer à l’articulation utile, un bout de mise au point qui est dans tes cordes, c’est-à-dire le tour de main de la femme pratique, talentueuse et aimable en même temps." |
Fernand Léger, Charlotte Perriand, Le Corbusier, Albert Jeanneret, Pierre Jeanneret,
Matila Ghyka à Athenes, 1933. |
Effacer le nom, effacer la femmeCharlotte Perriand ne s'en formalisait pas. Elle semblait ne pas souffrir de voir son nom toujours gommé, se souvient sa fille aujourd'hui. Et pourtant, "au mieux, on l'associait à un autre nom, sous prétexte que ça ferait vendre davantage. Cet effacement du nom, c'est un effacement de la femme créatrice dans un monde d'hommes," s'indigne Michelle Perrot. |
Après sa mort, en 1999, sa fille, Pernette Perriand-Barsac, et son époux Jacques Barsac en ont retrouvé les preuves en dessins dans les archives de la designeuse. Mais comme beaucoup de femmes qui, en leur temps, avaient malgré tout réussi à se faire une place, Charlotte Perriand a été oubliée de l'histoire et tout le monde attribue à Le Corbusier le "grand confort", passé dans l'ombre du maître. Comme bien d'autres de ses créations, nous explique l'historien de l'architecture Sébastien Cherruet : |
Photomontage, 1947 |
Une femme libre et engagéeCharlotte Perriand a toujours été une femme libre : "Dès son plus jeune âge, sa mère lui disait : 'Charlotte travaille, c'est la liberté'." Sa fille Pernette la décrit comme une femme autonome, sans cesse en mouvement, observatrice du monde, cheffe de bande, militante, initiatrice ou organisatrice avec un sens certain du collectif, qui vivait sans compromission ; une femme engagée qui voulait apporter les avancées de la modernité au plus grand nombre et qui a toujours prôné la liberté des femmes. |
Charlotte PerriandCharlotte Perriand était surtout une bonne vivante et c'est ce qui lui a pemis d'éviter les regrets et les rancoeurs : "J’ai toujours cultivé le bonheur, c’est comme ça que je m’en suis sortie", dit-elle un jour à une étudiante qui l’interrogeait. |
Japon, 1954 |
Des problèmes avec les hommes? Jamais!Quand on lui demandait si en tant que femme, elle avait des problèmes dans ce milieu d'hommes, elle répondait avec fierté : "Jamais !" Et pourtant, des problèmes, il y a en avait. Sur son chantier des Arcs, elle se retrouve cheffe de file, à diriger une équipe d'hommes. "Un jour où elle demandait à un électricien de rectifier la position d'une prise mal placée, elle s'est entendu rétorquer : 'C'est pas une bonne femme qui va me donner des ordres !' Elle l'a congédié sur le sur-le-champ : 'Vous prenez vos affaires et vous sortez du chantier immédiatement.'" |