LES TERRIENNES •

Vivian Maier

Dates clés

1926

Naissance à New York mais grandit en France

1938

Retourne à New York

1951

Bénéficie d'un héritage qui lui permet de voyager à Cuba, au Canada et en Californie

1956

S'intalle à Chigago

1956-1973

Travaille pour la famille Gensburg notamment comme gouvernante des enfants

2009

Décès

Vivian Maier
Autoportrait de Vivian Maier, 18 octobre 1953, New York

Vivian Maier, photographe, libre et à contre-jour

Avant son "invention" - comme on le dit d’un trésor - par le documentariste John Maloof, Vivian Maier restait une parfaite inconnue. Du moins du grand public. Car à New York ou Chicago, certain.e.s s’en souviennent, tantôt avec gratitude, tantôt avec déplaisir. Ce sont les anciens enfants gardés par cette étrange nounou, gouvernante fantasque et photographe de grand talent. Voici sa biographie romancée.

Une femme en contre-jour, paru aux éditions Notablia, est une biographie romancée de Vivian Maier, une enquête fouillée sur les zones d'ombre de cette femme précurseure des photographes de rues. Parution qui coïncide avec l’exposition The Color work, à la Galerie Les Douches à Paris : une découverte de ses clichés en couleur, moins connus que ses étonnants noir et blanc, qui décennies durant, captèrent les franges et la fange de la société américaine. Ces centaines de milliers de négatifs (estimés entre 100 000 et 150 000), dont beaucoup ont aujourd’hui fait le tour du monde, ont été exhumés de l’oubli en 2007, au hasard d’une vente aux enchères. John Maloof qui deviendra le réalisateur du documentaire sur Vivian Maier, n’est alors qu’un obscur agent immobilier, président d’une petite association d’histoire locale à Chicago. Intrigué par un lot de pellicules, il l’achète espérant y trouver des renseignements sur un site urbain. D’abord dépité par son achat, il va s'intéresser peu à peu à l’œuvre de cette artiste inconnue, jusqu’à racheter tous les lots vendus à d’autres enchérisseurs Son film A la recherche de Vivian Maier sort en 2014. Une légende naît.

Vivian Maier
Autoportrait, 1954

Le refuge de l'invisibilité

A son tour, Gaëlle Josse prend la relève, que la personnalité de Vivian Meier continue à fasciner. Née aux Etats-Unis d’une mère française et d’un père d’origine austro- hongroise, la jeune Vivian n’a pas une jeunesse facile. Famille désunie, dysfonctionnelle, élevée en partie par sa grand-mère maternelle, elle n’aura de cesse de se rendre invisible. Sorte de double de Mr Hulot, en imperméable froissé et chapeau informe, elle apparaît souvent dans un coin de ses photos à la manière de Hitchcock. Vivian est une femme massive et sans grâce, une éternelle barrette dans les cheveux pour domestiquer une frange courte. Une femme à la fois pleine d’humour et/ou rébarbative, Vivian Maier photographie clair, mais brouille son image.

Les portraits qu’elle réalise dans son cercle d’amis sont magnifiques. Le modèle y fixe ou non l’appareil, mais reste impénétrable, le regard un peu dans le vague, les traits magnifiés. Pour l’écrire simplement, elle rend les gens beaux. Les gens, ici, c’est le Paris de l’avant-garde artistique et politique, les frères Pierre et Jacques Prévert, Nusch et Paul Eluard... Car Dora Maar, déjà, ne se contente pas de photos de mode. Elle a une fibre sociale et un engagement à gauche, elle veut témoigner. En 1933, elle est à Barcelone et photographie le petit peuple de cette place forte "républicaine". Elle parcourt Londres et la "zone", cet anneau de bidonvilles qui ceint alors Paris. Mais ses photographies restent lumineuses, comme s’il s’agissait non de choquer ou d’apitoyer, mais de faire surgir la beauté. Avec Dora Maar, la chiffonnière se redresse, les vendeuses du marché se recoiffent et les cabanes de la zone ont presque un lustre champêtre.Naturellement, si l’on peut dire, la photographe se retrouve intégrée au groupe surréaliste où son art du photomontage fait merveille. Elle signe ainsi quelques icones du mouvement comme son célèbre Portrait d’Ubu (1936) qui reste pourtant au plus proche du réel

Une aventurière, une femme libre

Ce que l’on connaissait moins jusqu’au livre de Gaëlle Josse, c’est son parcours de femme libre et aventureuse, dans l’Amérique corsetée des années 1950. Là où la biographie de Vivian Maier comptait des manques, l’écrivaine comble les vides. On connaissait le passé de nounou de Maier, boulot alimentaire lui donnant la liberté d’errer dans les quartiers défavorisés (parfois avec les enfants dont elle avait la charge), son éternel Rolleiflex autour du cou, on savait moins son ascendance française, ses histoires de famille, son héritage. Et son goût des voyages dont elle ramena tant de clichés extraordinaires d’humanité.

Road trips

Dès qu’elle a de l’argent, elle part. En 1959, elle travaille depuis déjà 3 ans pour une riche famille de Chicago, les Gensburg dont elle garde les trois fils. Elle a hérité de sa grand-tante un petit pécule et, en 1959, Vivian Maier prend le large. Elle informe ses employeurs qu’elle part pour un road-trip - ni le mot ni l’aventure ne sont encore à la mode, surtout pour une femme- et elle quitte Chicago pour une errance qui durera neuf mois. Yémen, Egypte, Asie : Thailande, Vietnam, Inde. Elle en ramène des clichés par milliers qu’elle développe dans sa salle de bain chez ses employeurs. Elle sait la valeur de ses photos. Elle essaie même de les faire développer de façon plus professionnelle en France, sans succès.

Vivian Maier
Livre sur Vivian Maier par Gaëlle Josse

Maudite de l'art

Aux yeux de Gaëlle Josse, Vivian Maier est une de ces nombreuses femmes maudites de l’art, au même titre que Camille Claudel ou Séraphine de Senlis. Des marginales que l'on isole, qui effraient et finissent dans le dénuement. C’est le cas de Vivian Maier. A 83 ans, elle a presque réussi sa tentative d’effacement d’elle-même. Elle n’est plus qu’une silhouette dépenaillée sur un banc, mangeant son repas à même les conserves, à peine sauvée de la déchéance par les trois frères Gensburg. C’est la seule famille chez qui elle se fixa, dix-sept ans durant, et qui la considéra durant ces longues années comme un membre à part entière (ce qui ne les empêcha pas de s’en débarrasser sans trop d’état d’âme). Comment les trois frères l’ont-ils retrouvée ? Sa biographie ne le dit pas, mais la fratrie lui paie un petit appartement à Chicago, ce qui la sauve de la misère totale. Ni elle ni eux ne le savent, mais elle va bientôt mourir des suites d’une chute. L’avis de décès paru dans le journal rédigé par les Gensburg met un peu de douceur sur cette fin de vie solitaire : "Vivian Maier seconde mère de John, Lane et Matthew est morte paisiblement lundi... Elle nous manquera beaucoup."

Sociopathie, troubles du comportement ?

On peut hélas penser qu’à cette heure-là, ils sont bien les seuls, les frères Gensburg à regretter leur vieille gouvernante, acariâtre, voire maltraitante selon certains témoignages. Vivian Maier avait développé à la fin de sa vie une nette tendance à la paranoia. A la fin de son activité de nounou, elle est persuadée qu’on l’espionne, que ses employeurs rentrent dans sa chambre. Elle fait des scènes, certaines familles à bout la congédient. Héritage familial ?
Père violent et alcoolique, mère menteuse et irresponsable (selon les dires de sa propre mère), frère sujet à la psychose, la photographe de génie souffrait elle aussi de troubles du comportement. Lesquels peuvent expliquer une tendance sociopathe, thèse avancée par Gaëlle Josse qui a recoupé les éléments disponibles. Les plus intéressants sur notamment sa famille maternelle française, originaire des Hautes Alpes, viennent de l’association Vivian Maier et Champsaur. On y trouve un grand nombre de photos et d’éléments biographiques.Avec ce livre Une femme en contre-jour, se confirment, dix ans après sa mort, l'intérêt que Vivian Maier a éveillé et la renommée qu’elle n’a pas eu de son vivant. Nul ne sait si la photographe qui n’aimait que la rue et les vies brisées en aurait seulement voulus.

Vivian Maier
Vivian Maier, Courtesy Maloof Collection
Vivian Maier
Chicago, 1956

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