21 octobre 2011 – 14 janvier 2012

Fotokino a construit ces dernières années un projet ambitieux consacré à l’œuvre atypique du graphiste américain Ed Fella. Construite en partenariat avec le Festival international du graphisme et de l’affiche de Chaumont, Ed Fella Documents est une rétrospective inédite en Europe, accompagnée d’un catalogue monographique co-édité par Fotokino et le Festival de Chaumont où elle a été présentée du 21 mai au 20 août 2011.

À travers ses milliers de dessins, Polaroids, collages, affiches... Ed Fella explore depuis le début des années 1960 la typographie et le paysage américain, et a inventé un vocabulaire visuel dont la singularité lui vaut une reconnaissance internationale. Son œuvre est le lieu d’un dialogue permanent entre art et design, et s’inscrit dans une filiation complexe qui part de l’Art nouveau, passe par Dada, le surréalisme, l’expressionnisme abstrait, le pop art, la beat generation, le graphisme psychédélique...

Chez Ed Fella, ces parentés se croisent, s’additionnent et fabriquent en miroir une multiplicité des significations, lectures, et interprétations possibles de chacun de ses travaux. Couche par couche son œuvre se fabrique, couche par couche elle se lit.

Affiches et documents imprimés

Durant les années 1960, dans un contexte concurrentiel très fort, Ed Fella devient un artiste commercial à succès grâce à son habileté technique et l’éclectisme de ses créations. S’appropriant à peu près tous les styles, Fella préserve dans chacune de ses commandes une dose d’étrangeté, à l’image de ses emprunts fréquents aux formes héritées de l’Art déco, alors totalement surannées.

Affiche d'un tournoi de tennis Affiche intitulée Aggravate

Pour autant, il admet que pratique commerciale et recherches personnelles ne se sont jamais réellement rencontrées. « D’un côté, je faisais ce travail très expérimental, voire artistique, grâce auquel je me suis fait une réputation. De l’autre côté, je faisais ces choses assez banales. À mon sens, le problème était cet entre-deux que je n’ai jamais vraiment trouvé. C’est en fait un point épineux dans ma pratique. D’une certaine manière, c’est à la fois mon échec et ma réussite. »

Un point de contact existe cependant avec les documents promotionnels ou les voeux réalisés pour ses employeurs, en particulier Skidmore Sahratian, ou plus tard avec les invitations qu’il conçoit pour de nombreuses associations culturelles de la ville. « When I’m free, it’s free » : lorsqu’il est libre (et surtout artistiquement), il offre ses services à la Detroit Focus Gallery, au Detroit Artists Market ou au Poetry ressource Center. « Si j’ai pu faire des travaux pour des associations à but non lucratif, c’est parce que j’avais à ma disposition ce grand atelier. J’étais chargé de m’occuper à la fois des traitements mécaniques, de la typo, de la cire et des crayons. J’ai toujours crédité et remercié l’entreprise où je travaillais – cela ne les dérangeait pas. Ce n’est pas comme si je leur avais pris de l’argent. De toute façon, ils gaspillaient plus de trucs que je n’en utilisais pour les associations. Je déshabillais Pierre pour habiller Paul ! »

Aujourd’hui, Ed Fella assume pleinement cette carrière d’artiste commercial, et exprime ainsi une forme de reconnaissance pour cette profession qui a laissé le champ libre à ses expérimentations.

Dessins et collages

Depuis toujours, Ed Fella collecte, dessine, colle, assemble… sans objectif précis, sans contrainte particulière. S’exerçant d’abord sur des feuilles volantes, des fun sheets comme les surnomment ses enfants, puis, à partir de 1976, dans des carnets. Dès lors, il conserve à portée de main ses ateliers nomades : des crayons et un Bic quatre couleurs.

Dessin coloré indiquant This is not what will never do decause do is what this never will. Dessin coloré.

Au-delà de l’aspect pratique, Fella fait aussi le choix de ce format réduit en réaction à l’art héroïque, selon sa propre expression, qui organise son spectacle à grande échelle. Ici, c’est l’intimité du processus créatif de l’auteur qui se dévoile. Toutes les composantes de ce qui fait la singularité de son oeuvre sont éparpillées dans ces pages, fragments et variations de ses obsessions formelles et conceptuelles.

Dessin coloré. Dessin peu coloré parcellaire.

Ensemble cohérent de recherches (sujet, couleur, technique), chaque carnet constitue un terrain d’exploration et de jeu, une surface de spontanéité et de liberté sur laquelle Ed Fella ne revient pas une fois archivée. C’est ici qu’il donne une respiration particulière à la réflexion sur sa propre pratique, en particulier durant les années 1980, lorsqu’il prend conscience que les expérimentations typographiques qu’il mène sur ces supports agissent comme une véritable déconstruction de sa pratique commerciale.

Cinquante-cinq ans après ses premières recherches, ces milliers de dessins ont construit un corpus qui s’impose tant par son volume que ses qualités, et qui demeure encore aujourd’hui l’espace de travail privilégié de Fella.

Letters on America

En 1987, alors en pleine ré-invention de sa propre pratique, Ed Fella effectue un trajet en voiture entre la CalArts où il enseigne et Détroit. Enseignes, annonces, panneaux, pancartes... il est frappé par l’infinité de signes faits de peu qui s’offrent à son regard. Il comprend qu’il y a là tout ce qui construit l’identité visuelle des États-Unis depuis le XIXe siècle, territoire d’un vernaculaire dont il a toujours usé et abusé. « J’utilise deux formes de vernaculaire. Dans les petites illustrations décoratives que j’avais pour habitude de faire, j’allais puiser des choses dans le vernaculaire que tout le monde apprécie. Il y a aussi le vernaculaire issu de la culture de masse que j’ai mis plus de temps à reconnaître. J’étais un illustrateur et un graphiste qui faisait ces choses de façon pure, sans arrogance ou ironie. Aujourd’hui, ces deux éléments alimentent tout mon travail. »

Lettres prises en photo de panneaux d'affichage.
Série complète présentée à l’Atelier de visu
1188 Polaroids 600, 1987–2000
8,9 x 10,8 cm chaque Polaroïd

Polaroïd 680SE dans la boîte à gants, Fella a exploré ce paysage, ce « bazar typiquement américain » selon sa propre expression, durant une douzaine d’années avant de décider de publier la partie de sa collecte photographique dédiée à la typographie au sein de l’ouvrage Letters on America – dont l’intégralité est présentée ici. Ni archives ni modèles, toutes ces photographies occupent un statut assez indéfini pour leur auteur. Elles s’apparentent à une prise de note : chaque instantané fixe une idée qui alimente son processus créatif.

Lettres prises en photo de panneaux d'affichage.

« Les photographies sont composées de façon très précise. Ce ne sont pas les mots qui m’intéressent en particulier. Je découpe justement des morceaux des mots et des lettres pour en perturber la lecture. » C’est le détail qui intéresse Fella, celui qui révèle au regardeur attentif une multitude d’enseignements. Au-delà de la fonction que revêt cette entreprise de collecte pour Fella, son étendue (plusieurs milliers de Polaroïds aujourd’hui) lui confère une véritable portée historique, tant du point de vue du graphisme que de la photographie.

Flyers

Après la conception d’une matrice en 1969 et d’une série prototype en 1985-1986, Ed Fella produit à partir de 1987 des imprimés à bas coût qui adoptent tous les mêmes caractéristiques : impression en une couleur par face sur du papier bon marché, tête-bêche, à faible tirage. Chaque flyer de format 28 x 43,2 cm est plié en trois dans le sens de la hauteur.

Flyer. Flyer.

C’est d’abord la confiance de Geri Baskin, directeur de la Detroit Focus Gallery qui va lui permettre, jusqu’en 1990, d’explorer son propre imaginaire pour annoncer les expositions d’autres artistes. Fella n’est soumis à aucune contrainte, au grand dam de nombreux d’entre eux. Il utilise ensuite ce support pour accompagner des publications, rencontres, expositions, ou comme voeux de fin d’année. Une quinzaine de flyers sont liés aux conférences de graphistes invités par la CalArts. Ils ne singent pas le style du graphiste concerné, mais sont plutôt l’occasion d’un jeu de références et de commentaires. Produits after-the-fact, ils annoncent des événements… qui ont déjà eu lieu et s’adressent aux personnes qui, y ayant participé, sauront ainsi en décrypter toutes les énigmes.

Flyer. Flyer.

Lieux de l’irrégularité, ces documents mettent progressivement en place une méthodologie que Fella va appliquer aux 160 flyers qu’il conçoit durant plus de vingt ans. Quelque part entre son atelier, la Xerox et le banc de repro, les fragments de formes et de typographie sont découpés, dessinés, photocopiés, distordus, puis mis à l’échelle pour être assemblés. Le message est malmené, la lecture est éclatée. Réceptacles de toutes ses recherches passées, supports de ses expérimentations à venir, ils acquièrent au fil du temps un véritable statut de signature.

Flyer. Flyer.

En 2009, il se rend chez son imprimeur et trouve porte close. Cessation d’activité. Il décide alors, lui aussi, de mettre un terme à cet ensemble, et de se « mettre au vert ».

Catalogue

Couverture du catalogue. Fond marron et encre noire.

Co-édition Fotokino /
Festival International de l’affiche et du graphisme de Chaumont

Avec le soutien du Centre national des arts plastiques (aide à l’édition imprimée), Ministère de la culture et de la communication; d’Étant donnés, fonds Franco-Américain pour l’art contemporain et du State Department of the United States of America

Catalogue ouvert en double-page. Catalogue ouvert en double-page. Catalogue ouvert en double-page. Catalogue ouvert en double-page.

Direction éditoriale : Émilie Lamy
Conception graphique du livre : Jérôme Saint-Loubert Bié, avec Cécile Binjamin
Conception graphique de la couverture : Edward Fella
Textes (anglais/français) : Vincent Tuset-Anrès (commissaire), Renaud Faroux, Catherine Guiral et Randy Nakamura.
Traductions : Paul Jones, Sophie Renaut

Catalogue ouvert en double-page. Catalogue ouvert en double-page. Catalogue ouvert en double-page. Catalogue ouvert en double-page.

Ouvrage intégralement composé en Garaje 73 Black, dessiné par Thomas Huot-Marchand. Imprimé sur les papiers Fedrigoni par l’imprimerie des Deux-Ponts

Dépôt légal : mai 2011 – ISBN : 978-2-35017-238-5
Distribué par les éditions Pyramyd
Format 230x310mm
258 pages
Prix public 35 euros
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