Ce dossier traite des lieux au-delĂ de la mĂ©tropole : les petites villes et celles de taille moyenne, les petites agglomĂ©rations, les villages Ă©loignĂ©s. Câest ici, dans des lieux qui ne peuvent ĂȘtre rĂ©duits simplement au non-urbain, que nos crises â politiques, sociales, Ă©conomiques, environnementales â sâamplifient. Câest lĂ aussi oĂč lâon peut, supposĂ©ment, expĂ©rimenter plus librement. Nous y partons pour dĂ©couvrir de nouvelles formes de communautĂ©s et dâarchitecture, ainsi quâune vie meilleure.
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11 mai 2018
Jan Buchczik
Nous avons partagĂ© ce glossaire avec lâaide de Corinna Anderson, Lev Bratishenko, Alessandra Ciucci, Francesca Romana DellâAglio, Helina Gebremedhen, Kristin Hickman, Gregory Duff Morton, Federico Ortiz, Jess Robinson, Yuma Shinohara et Espen Vatn. Jan Buchczik dĂ©tient le copyright de ces illustrations.
On raconte que la voix de lâancienne province dâAbda, dans les Plaines de la cĂŽte atlantique du Maroc, prend corps chez les femmes qui pratiquent ce style de poĂ©sie chantĂ©e, dont le timbre rauque caractĂ©ristique varie dâune rĂ©gion Ă lâautre.
En amharique, aller dâAranba, minuscule ville Ă©loignĂ©e, Ă Qobo, tout aussi Ă©loignĂ©e, signifie relier les deux points les plus extrĂȘmes dâĂthiopie, quâune distance Ă©norme et impraticable sĂ©pare â ou bien sâutilise dans la conversation pour dire que lâon saute dâun sujet Ă un autre qui est sans rapport.
FormĂ© Ă partir du choctaw bayuk et de bayou, qui signifie plaine marĂ©cageuse en Louisiane française, le nom de cette rĂ©gion du Sud-est des Ătats-Unis rappelle les cultures crĂ©ole et cajun et le voyage de leurs ancĂȘtres acadiens, amĂ©rindiens et afro-amĂ©ricains qui y ont Ă©tĂ© dĂ©portĂ©s.
Un petit village, sans grand intĂ©rĂȘt et excentrĂ©. UtilisĂ© en France par les immigrants maghrĂ©bins pour dĂ©signer Ă la fois le pays laissĂ© derriĂšre eux et les rapports coloniaux tendus Ă lâorigine de leur dĂ©placement. Un endroit oĂč votre oncle pourrait vivre, si lâon en croit le tube « Tonton du Bled », grand succĂšs du groupe hip-hop 113 en 1999.
En tagalog, bundok signifie « montagne ». Le mot a intĂ©grĂ© lâargot amĂ©ricain au dĂ©but du vingtiĂšme siĂšcle sous lâinfluence des soldats amĂ©ricains participant Ă la guerre amĂ©ricano-philippine, pour qui bundok Ă©tait synonyme de territoire sauvage, impĂ©nĂ©trable et souvent hostile. DĂšs son entrĂ©e en usage, ses origines coloniales se sont obscurcies : le mot sâutilise dĂ©sormais pour dĂ©signer une zone rurale Ă©loignĂ©e ou un coin reculĂ© en province.
Dans les anciennes colonies des CaraĂŻbes et dans dâautres anciennes colonies britanniques, le bush dĂ©signe le point de rencontre du territoire colonisĂ© et de la contrĂ©e sauvage. Dans le poĂšme Ă©pique Omeros, Derek Walcott Ă©crit : « Jâai vu les villages cĂŽtiers reculer lorsque / la langue de la grand-route a traduit bush par forĂȘt / savane sauvage par pĂąturages mesurĂ©s / cette autre vie engagĂ©e dans son « changement pour le mieux » / sa paix figĂ©e en carte postale. »
Cette expression familiĂšre belge dĂ©signant une zone rurale a inspirĂ© le village fictif de Champignac-en-Cambrousse, lieu bucolique oĂč se dĂ©roulent les multiples aventures des hĂ©ros de la bande dessinĂ©e Spirou et Fantasio. Voir aussi OUTBACK.
UtilisĂ© dans de nombreux pays dâAmĂ©rique latine pour dĂ©signer une ferme. Au Chili, lâexpression venir de la chacra dĂ©crit une personne crĂ©dule et naĂŻve.
(ć°æč) LittĂ©ralement, « vers la terre ». Mot utilisĂ© pour dĂ©crire les endroits du Japon situĂ©s en dehors des trois grandes rĂ©gions mĂ©tropolitaines, Tokyo, Osaka et Nagoya. Neutre dans sa connotation, le mot implique nĂ©anmoins une directionnalitĂ© rayonnant Ă partir de la mĂ©tropole au centre.
Dans lâAngleterre du dix-huitiĂšme siĂšcle, un paysage qui met en scĂšne les loisirs et le pastoralisme, idĂ©alement fertile pour la germination de la nouvelle vie bourgeoise en dehors des centres urbains.
Quelque part au centre de la NorvĂšge, vers lâOuest. En norvĂ©gien, le mot signifie littĂ©ralement « loin dans les vallĂ©es », mais sâutilise aussi dans un sens pĂ©joratif pour dĂ©crire une personne rustre et sans Ă©ducation. Si le terme appelait autrefois des images bucoliques de paysans Ă©levant des moutons et cultivant les cĂŽteaux, il Ă©voque aujourdâhui le clair de lune, les fĂȘtes dans les granges et les airs de violon traditionnels.
InventĂ© par le gĂ©ographe Terry McGee et tirĂ© des mots indonĂ©siens desa (village) et kota (ville), le terme sert Ă dĂ©crire des zones situĂ©es en dehors des grandes villes â en particulier dans lâAsie de lâEst et du Sud-est â oĂč les usages agricoles et urbains du territoire coexistent et sâentremĂȘlent. Le nĂ©ologisme est rĂ©cemment entrĂ© en usage dans des contextes dâĂ©tudes urbanistiques, Ă©tant donnĂ© quâil permet de rĂ©soudre linguistiquement la dichotomie entre « urbain » et « rural ».
UtilisĂ© dans la plupart des pays dâAmĂ©rique du Sud pour dĂ©signer les rĂ©gions non-mĂ©tropolitaines comprenant les terres agricoles de chaque pays. LâidĂ©e de lâintĂ©rieur renvoie Ă lâancienne occupation des terres par les monarchies europĂ©ennes, dont les colons ont Ă©tĂ© les premiers Ă Ă©tablir les villes portuaires le long des cĂŽtes du continent. Aujourdâhui, ces villes dĂ©sormais mondiales demeurent la connexion principale avec « lâextĂ©rieur », tandis que le reste de chaque pays est appelĂ© « lâintĂ©rieur ».
Signifiant littĂ©ralement « les montagnes », le terme rĂ©fĂšre au Liban Ă une rĂ©gion plus faiblement peuplĂ©e, Ă la diffĂ©rence des villes qui sâagglomĂšrent le long des rives de la MĂ©diterranĂ©e.
Contient Ă la fois lâidĂ©e du « peuple » et de la rĂ©alitĂ© matĂ©rielle de « la ville ». Sâutilise au Mexique dans un sens pĂ©joratif (ese cabrĂłn es bien de pueblo) ou Ă©mancipateur, notamment dans le cas du Concejo de Gobierno IndĂgena, qui se qualifie lui-mĂȘme dâassemblĂ©e de pueblos.
Le terme renvoie aux rĂ©gions intĂ©rieures des Ătats-Unis qui sont « survolĂ©es » par les voyageurs transitant entre les centres mĂ©tropolitains de la CĂŽte Est et de la CĂŽte Ouest. Ironiquement, lâexpression elle-mĂȘme sâest popularisĂ©e dans les annĂ©es 1980 grĂące Ă Thomas McGuane, un Ă©crivain vivant Ă Montana, qui sâen est servi pour dĂ©crire une personne qui parle en levant les yeux au ciel, pour regarder passer les avions.
Signifie en gros « ville natale » en japonais, bien que le terme exprime une certaine nostalgie du sens de lâenracinement social et spatial â de type rural â que le locuteur a perdu. LâidĂ©e trouve son illustration parfaite dans les vers de « Furosato » (traduit ici par « maison de campagne »), une chanson pour enfants populaire enseignĂ©e dans toutes les Ă©coles publiques du Japon : « Quand jâai accompli la tĂąche que je me suis fixĂ©e / Je rentrerai un jour chez moi / OĂč les montagnes sont vertes, ma vieille maison de campagne / OĂč les eaux sont claires, ma vieille maison de campagne. »
MĂȘme dans les endroits oĂč il nây a plus de portes mĂ©diĂ©vales, certains Italiens continuent dâutiliser cette expression lorsquâils quittent la ville pour se rendre Ă la campagne, ne serait-ce quâun jour ou deux.
En Allemagne, il y a une sorte de gĂ©ographie fantĂŽme de villes imaginaires, dont les noms renvoient de maniĂšre gĂ©nĂ©rique Ă lâidĂ©e de petits villages Ă©loignĂ©s. On dira par exemple, « Aujourdâhui, on trouvera mĂȘme des restaurants Ă sushis Ă Hintertupfingen ». Hintertupfingen est la variante utilisĂ©e en Allemagne du Sud. Voir aussi KLEINKLECKERSDORF (dans le Nord-est) et PUSEMUCKEL (dans le Nord-ouest), entre autres.
Variante de « hollow » (creux). Petite vallĂ©e ou contrefort entre les montagnes Appalaches. Connu pour ses fortes identitĂ©s locales et pour sa musique bluegrass, lâendroit a de longue date Ă©tĂ© reprĂ©sentĂ© en photographies comme lâarchĂ©type des difficultĂ©s Ă©conomiques aux Ătats-Unis et des liens de parentĂ© Ă©troite.
LittĂ©ralement, « coin du corbeau ». Terme pĂ©joratif utilisĂ© en Allemagne pour dĂ©signer une petite ville de province, en mettant lâaccent sur la mentalitĂ© provinciale et conservatrice censĂ©e la caractĂ©riser. Lorsquâil Ă©crit Ă un ami en Allemagne en 1933, Albert Einstein qualifie Princeton, New Jersey, de « magnifique coin de la planĂšte, mais en mĂȘme temps un KrĂ€hwinkel complĂštement bizarre et cĂ©rĂ©monieux rempli de minuscules demi-dieux rigides. »
DĂ©signe en bengali les zones rurales en dehors du centre urbain. Ăgalement utilisĂ© pour qualifier une personne ou une chose de provinciale ou rustique.
Combinant les mots signifiant « mouche » et « chier », ce mot russe désigne un village trÚs éloigné. Sa connotation scatologique repose sur la tendance (urbaine) persistante à associer le monde rural avec la saleté et la vulgarité et avec les fonctions corporelles vitales que les citadins « sophistiqués » préféreraient ignorer.
LittĂ©ralement, le « coin de lâours ». En Russie, lâexpression dĂ©signe un endroit Ă©loignĂ© et peu attrayant. On peut retracer son origine dans lâhistoire de la ville de Yaroslav, Ă©tablie sur un site auparavant occupĂ© par un ancien village appelĂ© le Coin de lâours - un endroit rĂ©barbatif, apparemment peuplĂ© de paĂŻens farouches qui vouaient un culte Ă une divinitĂ© ursine.
Signifiant « lĂ -bas dans lâarriĂšre-pays », le mot fait rĂ©fĂ©rence au territoire intĂ©rieur trĂšs inhospitalier du continent australien en le situant implicitement par rapport aux centres commerciaux et aux villes placĂ©es le long des cĂŽtes. Voir aussi EL INTERIOR.
Utilisé en Argentine pour désigner une petite ville ou une zone rurale. Me voy a mis pagos est une expression commune employée par une personne qui quitte la grande ville pour retourner dans sa contrée natale rurale, ne fût-ce que pour une fin de semaine. Voir FUROSATO.
ComposĂ©e des principales zones agricoles dâArgentine, du BrĂ©sil et de lâUruguay, cette plaine fertile au relief plat de lâAmĂ©rique du Sud voit son nom utilisĂ© en Allemagne pour dĂ©signer un endroit âau milieu de nulle partâ, par exemple dans « Notre auto est tombĂ©e en panne dans la Pampa ».
Paysage imaginaire du commerce de la fourrure dans lâAmĂ©rique du Nord francophone et des migrations coloniales dans le terroir du QuĂ©bec, situĂ© en amont des zones urbaines le long du Saint-Laurent, du Mississipi et des riviĂšres des Outaouais. Toile de fond du roman Un homme et son pĂ©chĂ© (1933) de Claude-Henri Grignon, adaptĂ© plus tard pour la radio et la tĂ©lĂ©vision. Voir aussi UPSTATE.
Introduit pour la premiÚre fois dans « A Farm in Pennsyltucky » chanté en 1972 par la vedette de musique country Jeannie Seely, le mot désigne en Pennsylvanie les contrées rurales situées entre les territoires métropolitains de Pittsburgh et Philadelphie.
Heinrich Heine, 1833: « Par la France, jâentends Paris et non pas la province; car ce que pense la province importe aussi peu que ce que pensent nos jambes. Câest la tĂȘte qui est le siĂšge de nos pensĂ©es. [âŠ] Les gens avec qui jâai conversĂ© en province mâont fait lâeffet de bornes kilomĂ©triques portant inscrit sur leur front leur Ă©loignement plus ou moins grand de la capitale. »
En portugais brĂ©silien, « champ », dĂ©fini par opposition Ă rua, « rue », et dĂ©signant un espace cultivĂ© mais non-urbain. Tant roça que rua contrastent avec mata, « forĂȘt » ou « broussailles » qui fait rĂ©fĂ©rence Ă une zone non cultivĂ©e.
« In the sticks » signifie « au milieu de nulle part ». Dans lâĂ©pisode des Simpson « When you Dish Upon a Star » (Quand on atterrit sur une star), suite Ă un accident de parachute ascensionnel, la famille Ă©choue tout prĂšs de la cachette des vedettes de cinĂ©ma Kim Basinger et Alec Baldwin. Homer dit: « Perdus comme ça au milieu de nulle part? Cela ne peut ĂȘtre que des ploucs ». « Donc, je suppose que câest un jacuzzi de plouc? » rĂ©pond Bart.
Nom dâune ancienne ville de commerce de la Rusâ de Kiev qui contrĂŽlait le Bosphore cimmĂ©rien, le passage reliant la Mer Noire Ă la Mer dâAzov, dans lâactuel kraĂŻ de Krasnodar (un coin perdu selon les chroniques mĂ©diĂ©vales). DĂ©signant couramment un lieu inaccessible et inconnu, le mot fusionne la « coquerelle » (tarakan / ŃĐ°ŃĐ°ĐșĐ°Đœ) et la « noirceur » (tâma / ŃŃĐŒĐ°).
La partie la plus au nord de lâĂtat de New York ou le nord de New York City, quoique personne ne sache au juste oĂč elle commence. Voir PAYS DâEN-HAUT.
En allemand, littĂ©ralement, « lĂ oĂč le renard et le liĂšvre se souhaitent le bonsoir. » Lâexpression fait rĂ©fĂ©rence Ă un endroit si Ă©loignĂ© et si dĂ©peuplĂ© que le renard et le liĂšvre â reconnus comme des animaux farouches â vont aller jusquâĂ se saluer lâun lâautre.
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8 juin 2018
Souvenirs dâĂ©tudiants
Une autre tradition dâĂ©ducation architecturale existe en dehors de la ville et des pĂ©dagogies circonscrites: des institutions peu orthodoxes qui sont elles-mĂȘmes des expĂ©riences de construction communautaire. Nous sommes entrĂ©s en contact avec dâanciens Ă©lĂšves de quatre de ces Ă©coles, pour essayer de dĂ©couvrir ce qui rend ces lieux si diffĂ©rents. Voici ce quâils nous ont racontĂ©.
Toyo Ito assume le rĂŽle de planificateur volontaire
LâAtelier Bow-Wow renouvelle les cycles sociaux
et Ă©cologiques dâun village de pĂȘcheurs
dot architects imagine de nouveaux espaces
pour la vie communautaire
Hajime Ishikawa documente les mondes improvisés des agriculteurs Fab-G
Kazuyo Sejima conçoit un nouveau paysage participatif
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11 mai 2018
Un essai de Kayoko Ota
Population Pyramid of Japan: 1930â2055
Bon an mal an, Toyo Ito fait, la plupart des mois, le voyage de six heures entre Tokyo et Omishima, une Ăźle de lâouest du Japon. Pour sây rendre, il prend un train super express, un autocar long-courrier, puis une voiture. Ă lâarrivĂ©e, Ito rencontre les autoritĂ©s locales, les collaborateurs de ses projets et les membres de la collectivitĂ©. Ătonnamment, il nâa pas reçu de commande dans cette Ăźle : son rĂŽle se situe plutĂŽt Ă la base, puisquâil met son expertise au service de lâamĂ©lioration dâinstallations communes existantes ou de la crĂ©ation de nouvelles, ou encore puisquâil sert de catalyseur pour des projets qui nâont pas de finalitĂ© architecturale immĂ©diate, avec pour objectif de contribuer Ă contrer les effets de la 1ïžâŁdiminution de la population de lâĂźle.Comme la plupart des collĂšgues de sa gĂ©nĂ©ration, Ito a longtemps considĂ©rĂ© la ville comme lâendroit naturel oĂč Ćuvrer et construire un discours. Il nâavait jamais pensĂ© Ă le faire ailleurs.
Cities on the Move, lâexposition marquante organisĂ©e par Hou Hanru et Hans Ulrich Obrist prĂ©sentait, il y a vingt ans, les formes surprenantes dâurbanitĂ© qui se dĂ©ployaient Ă un rythme accĂ©lĂ©rĂ© dans les villes asiatiques. Ă lâĂ©poque, nous â des gĂ©nĂ©rations dâarchitectes auxquelles appartiennent Ito, Sejima et Atelier Bow-Wow â avions une vĂ©ritable curiositĂ© envers la mĂ©tropole comme entitĂ© en mutation constante. Une partie de cette fascination pour des villes comme Tokyo, Hong Kong ou Shanghai reposait sur leur hyperdensitĂ©. Cela nous fascinait, aiguisait notre imagination. LâidĂ©e que ces villes pourraient entrer dans une phase de post-croissance, amenant avec elle un dĂ©clin de la fertilitĂ© et une augmentation de la longĂ©vitĂ©, ne nous traversait pas lâesprit.
Deux changements paradigmatiques majeurs ont depuis frappĂ© le Japon. Le premier est la diminution et le vieillissement de la population, Ă la campagne mais aussi dans les grandes villes, et Tokyo ne fait pas exception. La baisse dĂ©mographique a lieu Ă un tel rythme et une telle Ă©chelle quâon dirait que le pays tout entier a soudainement glissĂ© dans une nouvelle Ăšre, oĂč ses fondements mĂȘmes paraissent instables. Dâici Ă 2035, un habitant de Tokyo sur quatre aura soixante-cinq ans ou plus, et prĂšs de 30 pour cent de ces gens ĂągĂ©s vivront seuls.
Mais malgrĂ© ces nouveaux dĂ©fis de sociĂ©tĂ© auxquels font face Tokyo et dâautres grandes villes du Japon, les architectes qui y travaillent ne contribuent pourtant pas Ă façonner lâenvironnement urbain. Une raison essentielle Ă cela rĂ©side dans le second changement de paradigme : la monopolisation de la planification et de la conception du dĂ©veloppement urbain par les grandes agences dâurbanisme et par les services spĂ©cialisĂ©s des entrepreneurs, promoteurs et sociĂ©tĂ©s immobiliĂšres. Outre ces acteurs plus traditionnels, les entreprises des secteurs de la technologie, de la mise en marchĂ©, de la publicitĂ© et de la sĂ©curitĂ©, ainsi que les groupes de rĂ©flexion, pĂ©nĂštrent le marchĂ©. Lâurbanisme aujourdâhui est de plus en plus affaire de logique entrepreneuriale qui rĂ©pond aux exigences de lâĂ©conomie de marchĂ© et repose sur une pensĂ©e de moins en moins architecturale.
Naoya Hatakeyama, photographer. Partial view of the Mori Buildingâs model of Tokyo, Japan. 2003. CCA.
ressource
Câest dans ce contexte que les architectes interviennent dans les Ăźles et les villages : ils y trouvent des conditions absentes des villes oĂč ils sont installĂ©s. Pour eux, câest un « gain », pour rĂ©pondre Ă la question posĂ©e plus haut Ă propos de lâĂ©change entre les architectes et leurs interlocuteurs. Une des hypothĂšses quant au pourquoi, est quâune fois que la population a diminuĂ© jusquâĂ un certain point, sâouvre un espace pour des mesures non traditionnelles et des expĂ©rimentations sortant des cadres administratifs des centres urbains et de la logique capitaliste qui les sous-tendent. Les architectes qui arrivent en 2ïžâŁ ces lieux peuvent, en raison de ce contexte diffĂ©rent, tenter des choses qui auraient Ă©tĂ© soit limitĂ©es, soit entravĂ©es en ville, et ainsi Ă©tendre la portĂ©e de leur pratique, sinon en matiĂšre de conception de bĂątiment traditionnelle, du moins en termes de rĂ©flexion architecturale ou de recherche avancĂ©e.
Dans les nouvelles relations qui se font jour dans ces Ăźles et villages, les architectes sont parvenus Ă constituer un banc dâessai oĂč ils peuvent sâisoler de la pĂ©nĂ©tration systĂ©matique de la modernisation et se consacrer Ă forger un nouvel engagement avec la sociĂ©tĂ© â un acte qui relĂšve aussi de la survie professionnelle face Ă lâurbanisation capitaliste. Atelier Bow-Wow, Sejima, Ito et Ienari se rĂ©clament tous dâune dĂ©marche de comprĂ©hension de la sociĂ©tĂ© Ă travers des efforts de recherche en profondeur, de dĂ©finition des besoins avec les rĂ©sidents et dâinvention des diffĂ©rentes formes quâune solution pourrait prendre. Le tout devrait ĂȘtre en amont de la commande proprement dite, et dâailleurs ne pas nĂ©cessairement dĂ©boucher sur une rĂ©alisation architecturale. Ce processus, tenu pour acquis lors de la conception dâune maison, est souvent mis de cĂŽtĂ© quand interviennent lâĂ©conomie de marchĂ© ou le systĂšme administratif.
Il est dâailleurs non dĂ©nuĂ© dâintĂ©rĂȘt de constater quâune telle dĂ©marche conceptuelle permet la formation dâun nouveau type de procĂ©dure de planification ou de design, dans lequel la capacitĂ© des « participants » Ă dĂ©velopper une pensĂ©e architecturale est renforcĂ©e. Tant Atelier Bow-Wow que Sejima ont pour tĂąche de revitaliser un village ou une Ăźle de façon trĂšs flexible, sur fond dâintĂ©gration rĂ©ussie avec les habitants. Dans un cadre non contraignant, Sejima peut ainsi improviser lentement et intentionnellement des idĂ©es, penser Ă la maniĂšre de les mettre en pratique avec la participation de rĂ©sidents locaux, de visiteurs, dâartistes et dâĂ©tudiants, et superviser leur mise en Ćuvre Ă long terme. Les diffĂ©rents acteurs sont invitĂ©s à « apprendre par la pratique » dans des programmes crĂ©Ă©s par Sejima. Ce processus dâapprentissage est de nature Ă stimuler lâafflux de personne ainsi que lâĂ©conomie locale.
Made in Tokyo (Kajima Institute Publishing, 1996)
Dans le cas de Momonoura, 3ïžâŁ oĂč Kaijima dâAtelier Bow-Wow participe Ă lâorientation du plan de relance durable, une Ă©cole alternative a Ă©tĂ© fondĂ©e non seulement pour former les pĂȘcheurs, mais aussi pour expĂ©rimenter un Ă©change de connaissances : tout le monde peut venir y enseigner ses habiletĂ©s Ă lâextĂ©rieur du systĂšme universitaire. Le programme dâenseignement ouvert a pour objectif dâencourager les futurs rĂ©sidents et entrepreneurs qui pourraient stimuler la relance du village. Cette expĂ©rience se nourrit des connaissances acquises en vingt ans de recherches et dâobservations par les architectes, depuis Made in Tokyo (1996) en passant par Behaviorology (2010). En un sens, le projet de Momonoura dĂ©coule directement de leur travail de fins observateurs de la citĂ© contemporaine et des comportements de ses habitants.
La planification ou conception nouveau genre que je dĂ©cris ici pourrait ĂȘtre reformulĂ©e comme un Ă©change mutuel et productif entre, dâune part, « lâarchitecte » qui mobilise sa pensĂ©e, et dâautre part, les « rĂ©sidents et collaborateurs » qui viennent approfondir ou enrichir cette pensĂ©e, et qui sont susceptibles eux-mĂȘmes dâarticuler avec le temps une rĂ©flexion architecturale. De mĂȘme que la notion de « pensĂ©e conceptuelle » a modifiĂ© lâidĂ©e gĂ©nĂ©rale de design, une plus grande diffusion de la pensĂ©e architecturale peut Ă©largir ce que la planification et le design participatifs peuvent atteindre. Sans doute un architecte qui rĂ©ussirait Ă ouvrir un nouveau front dans cette relation pourrait se poser en « alternative au gĂ©nie ou vedettariat individuel » ce qui, du point de vue dâIto, fait cruellement dĂ©faut Ă lâarchitecture aujourdâhui.
nous rappelle Sejima. Ăcrivant Ă propos des villes contemporaines, Rem Koolhaas dĂ©clare quâ« au-delĂ dâune certaine Ă©chelle, lâarchitecture acquiert les propriĂ©tĂ©s de la âBignessâ [ou Grandeur sublime] ». Sejima et les autres architectes ne sont-ils pas arrivĂ©s Ă une forme de « smallness », une petitesse sublime, aprĂšs une lutte avec toutes les complexitĂ©s et lâopacitĂ© de la « Bigness »? Ces architectes japonais ont-ils reconnu les « qualitĂ©s de la petitesse » dans les Ăźles et les villagess?
Les expĂ©rimentations viennent tout juste de commencer. IdĂ©alement, elles devraient donner des rĂ©sultats transposables Ă la ville sous une forme ou une autre. Ce quâen dit Sejima est encourageant : « Au fil de ce projet [sur Inujima], jâen suis venu Ă penser quâil est possible de modifier notre environnement urbain comme nous le voulons. Jâai dĂ©jĂ Ă©tĂ© dâavis que câĂ©tait impossible. Mais aujourdâhui, jâestime quâun lieu ou un moment aussi amusant quâinattendu peut surgir mĂȘme en plein Tokyo, aprĂšs cette expĂ©rience sur Inujima. » Une possibilitĂ© serait de revendiquer une petite enclave dans une ville, oĂč une expĂ©rience sâinspirant des rĂ©sultats obtenus dans lâĂźle pourrait ĂȘtre mise en pratique.
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11 mai 2018
Ian Scoones, David Huber
Plusieurs thĂšmes ont Ă©mergĂ© de ces discussions, dont celui des consĂ©quences des politiques nĂ©olibĂ©rales. Ces politiques ont concentrĂ© le pouvoir et la richesseđ° Ă certains endroits, relĂ©guant trĂšs souvent Ă la marge les rĂ©gions rurales et leurs habitants. Ă cela sâajoutent les investissements dâenvergure rĂ©alisĂ©s par les entreprises (surtout dans la foulĂ©e de la crise financiĂšre et alimentaire Ă la fin des annĂ©es 2000) dans les rĂ©gions rurales qui sont, en fait, fonciĂšrement extractives. Les populations rurales se sont retrouvĂ©es largement dĂ©possĂ©dĂ©es de leur terre et des moyens de subsistance sur lesquels elles comptaient auparavant.
On constate donc que cette double mise Ă lâĂ©cart dĂ©coule, dâune part, de la mondialisation et des Ă©conomies nĂ©olibĂ©rales et, dâautre part, dâapproches extractivistes et financiarisĂ©es causant dĂ©possession et dĂ©pouillement dans les rĂ©gions rurales.
Par exemple, quand on sâattarde aux grandes exploitations agricoles industrialisĂ©es, on y voit des travailleurs migrants (souvent dâorigines ethniques variĂ©es) qui ne sont pas intĂ©grĂ©s Ă la population sur place depuis longtemps. On voit lâĂ©mergence de tensions raciales et dâautres sortes de tension dans ces rĂ©gions et les petites villes environnantes. De toute Ă©vidence, lâespĂšce de multiculturalisme ouvert qui a pu Ă©merger dans les centres urbains â mais pas toujours, il faut dire â se transpose difficilement dans un cadre rural. Ă lâĂ©poque de lâexploitation agricole Ă petite Ă©chelle, les liens et les dynamiques de travail facilitaient lâintĂ©gration sociopolitique des migrants. Mais la commercialisation de lâespace rurale (production agricole de masse, exploitation miniĂšre et tourisme, par exemple) change les anciens modes de vie et moyens de subsistance ruraux et, avec eux, lâarriĂšre-pays et les petites localitĂ©s. VoilĂ ce qui explique lâĂ©mergence, dans ces lieux-lĂ , de politiques belliqueuses, voire violentes. Ces lieux, ces terreaux, ont souvent vu Ă©clore des formes de populisme marquĂ©s par lâautoritarisme qui nous prĂ©occupent.
Donc, que ce soit les populistes dâallĂ©geance hindoue en Inde, ou islamiste en IndonĂ©sie, ou le populisme rĂ©publicain façon Trump aux Ătats-Unis, on ne sâĂ©tonnera pas de voir les gens rĂ©pondre Ă lâappel de ces visions populistes qui cherchent Ă faire reculer la mondialisation, semer la division entre les migrants (« eux ») et « le peuple » (« nous »), remettre en question certains droits fondamentaux tout en favorisant lâoffre de nouveaux services et ressources qui font dĂ©faut depuis fort longtemps.
Sur le plan Ă©lectoral, il y a ces figures populistes trĂšs influentes au gouvernail, et il y a ensuite le dĂ©coupage Ă©lectoral qui a permis au vote rural de peser lourd dans lâĂ©lection de ces populistes. Ăa ne sâest pas produit partout, bien sĂ»r. Mais, Ă regarder le scrutin en France et le vis-Ă -vis presque ratĂ© du Front National, ou le Brexit au Royaume-Uni, on voit ces dynamiques, mĂȘme si elles nâont pas rĂ©ussi Ă conquĂ©rir le pouvoir suprĂȘme de lâĂtat.
Quand on place lâĂ©volution des relations entre centres urbains et rĂ©gions rurales dans un cadre historique et politicoĂ©conomique plus large, lâĂ©closion de ces mouvements politiques nâa rien dâĂ©tonnant. Ces changements nâauraient pas dĂ» nous surprendre. Ils nous ont pris de court parce quâon ne sâintĂ©ressait pas Ă ces endroits ni Ă leur mutation en ce sens.
On constate, particuliĂšrement dans le contexte du jeu politique en rĂ©gion rurale, que les petites villes jouent un rĂŽle de premier plan dans toute cette histoire. Pas tant les grands centres urbains, mais ces milieux urbains incorporĂ©s Ă un territoire rural plus vaste. Ces villes subissent aussi les consĂ©quences du nĂ©olibĂ©ralisme, de lâextractivisme et de la dĂ©gradation qui vient avec. Lâimportance des petites villes tient Ă leurs liens (sociaux, Ă©conomiques, politiques) avec les rĂ©gions rurales auxquelles elles appartiennent. TrĂšs souvent, ces petites agglomĂ©rations sont des poches de pauvretĂ© extrĂȘmes,đž points de chute de gens venus de lâarriĂšre-pays ayant perdu leur gagne-pain. Elles sont aussi des lieux de migration et des foyers de tensions raciales provoquĂ©es par lâarrivĂ©e de migrants dans des endroits dĂ©jĂ pauvres. Ces tensions sont en plus exacerbĂ©es encore davantage par les politiques populistes.
LâInitiative ne cherche pas Ă exclure la dimension urbaine. On ne veut pas crĂ©er de fausse dichotomie : on ne veut pas dire que la situation ne touche que les rĂ©gions rurales ni que seules les rĂ©gions rurales comptent. Parce que, bien entendu, les dynamiques qui sous-tendent lâorganisation et la mobilisation concernent lâespace rural aussi bien que lâespace urbain Ă bien des Ă©gards. Nous voulons simplement corriger un dĂ©sĂ©quilibre que nous avons constatĂ© jusquâĂ un certain point dans un dĂ©bat politique et public portant sur les consĂ©quences des nouveaux mouvements politiques en milieu urbain.
Je ne suis pas professionnellement qualifiĂ© pour me prononcer sur lâarchitecture et le design, mais je pense que ces deux aspects posent des questions intĂ©ressantes. Ce qui compte, câest que nous nous penchions sur la façon dont lâespace a Ă©tĂ© reconfigurĂ© par la mondialisation et le caractĂšre Ă©volutif des Ă©conomies spatiales. LâamĂ©nagement physique (mode de vie des gens entre eux et dans lâespace) peut avoir dâĂ©normes rĂ©percussions sur la formation de milieux de vie, sur leur dimension politique, de mĂȘme que sur lâavĂšnement de nouvelles Ă©conomies et de nouvelles politiques. Le bĂątiment, lâespace et les relations crĂ©Ă©s ont une rĂ©elle importance.
Par exemple, dans certaines de ces petites villes, les travailleurs pauvres, migrants ou issus de minoritĂ©s ethniques sont physiquement sĂ©parĂ©s des autres rĂ©sidents qui vivent lĂ parce quâils y coulent leurs vieux jours ou parce quâils y ont vĂ©cu toute leur vie. Lâorganisation spatiale Ă elle seule, câest-Ă -dire le tracĂ© des rues, lâemplacement des bĂątiments et leur type de construction, veut dire que câest par lâurbanisme que naissent les milieux de vie. Et lâurbanisme nous a lĂ©guĂ© un hĂ©ritage historique qui peut engendrer les tensions et les politiques rĂ©trogrades dâaujourdâhui. Ces espaces nâont pas Ă©tĂ© conçus pour de nouvelles formes dâĂ©conomie ou de milieu intĂ©grĂ©. DĂ©construire lâhistoire de la colonisation et lâespace urbain, la relation urbanitĂ©-ruralitĂ© pensĂ©e et Ă©laborĂ©e pour des rĂ©gions diffĂ©rentes pose des difficultĂ©s bien rĂ©elles.
Prenons un cas extrĂȘme : LâAfrique du Sud. Sa relation urbanitĂ©-ruralitĂ© fut crĂ©Ă©e sous lâapartheid, câest-Ă -dire la sĂ©grĂ©gation des gens selon la race. Aujourdâhui, le grand dĂ©fi de ce pays, comme pour bien dâautres anciennes colonies (comme les Ătats-Unis, le Canada et certaines rĂ©gions dâEurope), consiste Ă dĂ©faire lâhistoire et Ă repenser lâespace, Ă crĂ©er des formes de collectivitĂ©s plus Ă©mancipatrices, parce que lâhĂ©ritage du passĂ© gĂ©nĂšre des politiques cruelles, racialisĂ©es et parfois mĂȘme violentes qui se nourrissent de ces formes de populisme politique.
Alors, pour extrapoler, quelle forme prendrait une nouvelle vision de lâurbanisme? Que faudrait-il quâil crĂ©e? Il devrait crĂ©er un espace civique oĂč peuvent se former des milieux de vie exempts de ces divisions entre les rĂ©sidents de longue date et les nouveaux arrivants. Cet urbanisme devrait Ă©liminer les sĂ©grĂ©gations raciales spatialement dĂ©finies qui sâobservent Ă tant dâendroits. Il devrait crĂ©er des espaces propices Ă de nouvelles Ă©conomiques ancrĂ©es dans le local.
Partout dans le monde, lâagriculture commerciale et industrialisĂ©e a remodelĂ© les rĂ©gions rurales et les petites villes qui sây trouvent. Mais dâautres formes dâĂ©conomie collaborative Ă©mancipatrice sont aussi possibles. On parle, par exemple, des initiatives agroĂ©cologiques Ă petite Ă©chelle, de nouvelles formes de souverainetĂ© alimentaire grĂące aux marchĂ©s locaux, de nouvelles formes de partage de biens communautaires nĂ©cessitant un espace commun et des interactions dans la collectivitĂ©. Ă ces Ă©conomies solidaires, opposĂ©es au populisme autoritaire, lâarchitecture et lâurbanisme peuvent servir de vecteur. Ces Ă©conomies peuvent aussi sâappuyer sur de nouvelles technologies de lâinformation Ă code source libre, sur lâurbanisme radical, ainsi de suite.
On le constate partout dans le monde. Ă certains endroits en Europe, les contrecoups de lâaustĂ©ritĂ© Ă©conomique ont donnĂ© lieu Ă de nouvelles formes florissantes dâĂ©conomie locale, mues par les jeunes connectĂ©s par des moyens nouveaux et diffĂ©rents, en rĂ©gions urbaines et rurales. Il faut Ă©tendre lâexpĂ©rience Ă dâautres rĂ©gions rurales et Ă dâautres petites villes, dĂ©velopper de nouvelles formes Ă©mancipatrices dâĂ©conomie urbaine et rurale. Et je pense que câest une dimension hyper intĂ©ressante Ă expĂ©rimenter : penser Ă lâurbanisme sous un angle politique, penser Ă crĂ©er des espaces dâĂ©mancipation, faire contrepoids aux formes autoritaires du populisme, ramener lâespace et lâĂ©conomie Ă lâĂ©chelle de lâindividu de maniĂšre transformatrice.
Ă prĂ©sent, le dĂ©fi, câest de trouver ces nouvelles expĂ©rimentations prometteuses en cours et dâarriver Ă les reproduire pour neutraliser lâemprise des politiques rĂ©trogrades. Sâattaquer aux conflits en passant par lâuranisme crĂ©atif, câest essentiel. Par exemple, lĂ oĂč il y a des conflits fondamentaux ou des conflits entre ceux qui travaillent et ceux qui ne travaillent pas, entre les jeunes et les personnes ĂągĂ©es ou entre ceux qui se sentent chez eux depuis toujours et les nouveaux arrivants. Câest aussi penser Ă la façon dont les nouvelles Ă©conomies et les nouveaux amĂ©nagements du territoire (de nouvelles formes dâarchitecture et dâurbanisme) peuvent rĂ©ellement engendrer de nouvelles relations dynamiques dans les rĂ©gions rurales et les petites villes.
Le problĂšme que vous soulevez au sujet des urbanistes et des architectes nâa rien de bien diffĂ©rent de celui qui touche nâimporte quel professionnel se penchant sur ces questions. Mais je crois que si plus de gens sâengagent envers un changement Ă©mancipateur et transformationnel, il faudra aligner nos savoir-faire sur nos politiques, ce qui implique de crĂ©er des alliances dans des lieux propices au changement.
Notre Initiative, et câest un Ă©lĂ©ment important, nâest pas quâune simple alliance entre des universitaires Ă©voluant dans leur bulle. Câest une alliance avec des gens qui travaillent sur le terrain dans des rĂ©gions rurales, y compris ceux qui Ćuvrent dans les mouvements sociaux, les militants, etc. Parvenir Ă une telle alliance est crucial. Et crucial parce quâelle nous permet de tester nos hypothĂšses sur ce que devrait ĂȘtre le monde, de mettre Ă lâĂ©preuve nos idĂ©es sur lâobjet de nos interventions et leurs mĂ©thodes et de mieux ancrer notre approche dans les mouvements eux-mĂȘmes. Les agronomes travaillant avec les mouvements agroĂ©cologiques, les environnementalistes travaillant sur la question des changements Ă©cologiques ou les urbanistes et architectures rĂ©inventant lâespace urbain et rural, tous jouent leur rĂŽle en collaboration avec les autres. Et nous avons devant nous un dĂ©fi de taille. Lâunivers politique Ă©volue Ă grands pas, et il ne faudrait pas voir naĂŻvement la montĂ©e du populisme autoritaire et de sa base politicoĂ©conomique. Nous sommes confrontĂ©s Ă une restructuration de lâĂ©conomie et de la politique alimentĂ©e par une nĂ©olibĂ©ralisation mondialisĂ©e. Câest dâune portĂ©e incroyable, doublĂ©e dâune forme de politiques populistes rĂ©trogrades et marquĂ©es par lâautoritarisme quâon justifie pour le bien « de tous », mais qui servent en fait les intĂ©rĂȘts des grandes entreprises. Il faut reconquĂ©rir cet espace, ce qui demande de nouvelles expĂ©riences, en urbanisme et en architecture entre autres, qui montrent le potentiel de lâĂ©mancipation et de la transformation.
Nous devrions nous mobiliser Ă travers tous les horizons professionnels; regrouper les urbanistes, les architectes, les acteurs des diffĂ©rents mouvements et ceux qui tentent de changer les choses sur le terrain. Câest en rĂ©ussissant Ă convaincre les gens et en changeant les conditions sur le terrain que nous arriverons vraiment Ă affronter le populisme autoritaire. Le changement par la voie des urnes nâest quâune avenue possible. Il peut aussi se faire en repensant et en rĂ©inventant nos façons de faire sur le terrain.
†SCHĂMASâïž DE MISES EN COMMUNđ
10 août 2020
Niklas Fanelsa
Signe de congé dans la campagne des Yorkshire Dales
Ă la fin du XIXe siĂšcle, de petites collectivitĂ©s, comme Obstbaukolonie Eden (la colonie du verger dâĂden) prĂšs de Berlin et Monte VeritĂ prĂšs dâAscona, sâĂ©tablissent dans la campagne allemande et suisse. Sâinscrivant dans un vaste mouvement visant Ă changer le mode de vie, ces communautĂ©s forment des systĂšmes autosuffisants fondĂ©s sur des rĂšgles de propriĂ©tĂ© et de production collectives en Ă©troite relation avec la nature et en opposition aux courants de matĂ©rialisme et dâurbanisation liĂ©s Ă lâindustrialisation. Ces groupes repensent les composantes de lâexistence collective, de lâĂ©ducation Ă lâhabillement, de la place des femmes dans la sociĂ©tĂ© Ă lâadoption dâune alimentation vĂ©gĂ©talienne. Ils ne sont pas isolationnistes pour autant, diffusant leurs idĂ©es Ă un public plus large. La colonie du verger dâĂden publie des revues et conçoit une gamme de produits vĂ©gĂ©taliens, laquelle donnera plus tard naissance Ă la chaĂźne de supermarchĂ©s biologiques Reformhaus. CongrĂšs, invitĂ©s internationaux prestigieux et nouveaux formats Ă©ducatifs â comme lâĂ©cole estivale de danse de Rudolf von Laban â sont au cĆur de lâĂąme culturelle et artistique de Monte VeritĂ . Ces communautĂ©s Lebensreform connaissent leur apogĂ©e dans les annĂ©es 1920 et aujourdâhui, un siĂšcle plus tard, on voit de tels projets utopiques fleurir Ă nouveau, mĂȘme sâils ont pris une dimension nouvelle.
Les limites de notre Ă©conomie nĂ©olibĂ©rale mondialisĂ©e, qui repose sur lâextraction de ressources naturelles non renouvelables, ont contribuĂ© Ă crĂ©er un fort dĂ©sir pour un virage sociĂ©tal, en particulier pour ce qui touche Ă nos activitĂ©s et habitudes quotidiennes. Des crises comme la rĂ©cente pandĂ©mie de COVID-19 mettent en relief la fragilitĂ© de nos modes de vie, dĂ©pendants de vols Ă bas prix et de la production non locale de biens. La concentration du capital mondial dans les zones urbaines en expansion rend les villes plus chĂšres et moins attrayantes; de plus en plus de gens aspirent Ă un style de vie plus simple dans des collectivitĂ©s plus modestes.
ParallĂšlement, on voit se dĂ©liter le paradigme de la ville vue comme lâunique environnement de crĂ©ativitĂ©. La campagne est maintenant un espace de potentiel, offrant des terres abordables et une proximitĂ© avec les modes de production indispensables Ă la vie. Les gens y viennent en quĂȘte dâactivitĂ©s enrichissantes, au-delĂ des sphĂšres collaboratives de la professionnalisation. De nouvelles communautĂ©s se constituent en milieu rural : beaucoup nâont pas dâidĂ©ologie bien ancrĂ©e, mais la plupart cherchent Ă cultiver une vie meilleure. Nombre dâentre elles conservent des liens Ă©troits avec un centre urbain, dans le but de recrĂ©er le contact perdu entre ville et campagne. Dans un avenir proche, il sera de plus en plus important dâinventer de nouvelles maniĂšres de vivre et de travailler en mettant en Ćuvre des schĂ©mas de fonctionnement favorisant des systĂšmes rĂ©gĂ©nĂ©ratifs inscrits dans un cadre local.
Dans son ouvrage Lâespoir de Pandore, Bruno Latour sâassocie Ă un groupe de chercheurs en Amazonie et rĂ©flĂ©chit sur leurs constatations. Il relĂšve Ă quel point les observations sur le terrain des conditions pĂ©dologiques sont replacĂ©es dans des contextes discursifs plus larges Ă travers le concept de rĂ©fĂ©rence circulante : les donnĂ©es recueillies en un endroit prĂ©cis se transforment, sous lâeffet dâune sĂ©rie dâopĂ©rations scientifiques, en graphiques et textes abstraits, lesquels peuvent ĂȘtre communiquĂ©s Ă des interlocuteurs internationaux. Dans ce processus de diffusion, la rĂ©fĂ©rence conserve un lien avec son Ă©tat antĂ©rieur; cependant, cet Ă©tat originel a nĂ©cessairement perdu de son contenu initial pour pouvoir offrir une comparaison avec dâautres contextes.
Sâil prend racine dans mes expĂ©riences de la campagne allemande et japonaise, ce projet curatorial se nourrit des mouvements actuels dans le contexte rural mondial. Il sâintĂ©resse Ă ces mouvements sous lâangle du dĂ©veloppement de modĂšles remarquables nĂ©s dâobservations portant sur trois sujets : lâartisanat, lâalimentation et les matĂ©riaux. LâĂ©laboration de modĂšles Ă partir de contextes multiples permet des Ă©noncĂ©s plus larges : un modĂšle sâappuie dans sa structure sur des constats particuliers, et chaque modĂšle peut ensuite se rapporter Ă dâautres. Dans le cadre de ce processus, de tels schĂ©mas peuvent sâappliquer Ă une variĂ©tĂ© de contextes, dâĂ©chelles et de pĂ©riodes. Le modĂšle devient un outil productif pour lâanalyse des situations qui sont les nĂŽtres, la comprĂ©hension des prĂ©cĂ©dents historiques et la construction dâavenirs possibles. Voici quelques exemples dâobservations tirĂ©es de la campagne avec lesquel je propose de commencer :
Niklas Fanelsa, dessin dââUne nouvelle vie pour de vieux bĂątiments,â 2020. © Niklas Fanelsa
Dans de nombreux villages ruraux, jâai pu constater la prĂ©sence de vieux bĂątiments inoccupĂ©s. Leur prĂ©sence et leur piĂštre Ă©tat de prĂ©servation ont diffĂ©rentes causes : ils sont devenus trop coĂ»teux Ă rĂ©nover ou Ă entretenir, le style de vie qui leur est attachĂ© ne convenait pas Ă leurs propriĂ©taires, ils traĂźnent avec eux une mauvaise rĂ©putation ou encore, tout simplement, Ă moindre effort, une nouvelle maison offrira plus de confort. Ces bĂątiments sont vus comme autant dâoccasions Ă saisir par les nouveaux habitants de ces villages provenant de la ville, lesquels cherchent un endroit oĂč sâĂ©tablir pour dĂ©marrer une nouvelle vie ou activitĂ©. Ces nouveaux venus ont conscience du potentiel intrinsĂšque de telles constructions, souvent situĂ©es au centre du village, et rĂ©utilisent ces structures pour de nouveaux concepts programmatiques et modĂšles dâentreprise en lien tant avec le village quâavec leur rĂ©seau personnel en ville. Une ancienne Ă©glise Ă Saint-Adrien, au QuĂ©bec, se transforme en magasin coopĂ©ratif et en studio dâenregistrement; une vieille salle de spectacle Ă Kamiyama, au Japon, sâouvre sur le village, accueillant des performances dâartistes du monde entier; et une grange Ă Gerswalde est rĂ©utilisĂ©e comme bureau dâĂ©tĂ© et espace de projet. Avec ce concept, les nouveaux habitants prĂ©servent les formes bĂąties existantes tout en diversifiant leur usage et apportant une vie nouvelle dans le village.
Niklas Fanelsa, dessin de âConstruction hybride,â 2020. © Niklas Fanelsa
Traditionnellement, la transition entre nature sauvage et paysage culturel a commencĂ© avec les efforts continus dĂ©ployĂ©s par une collectivitĂ© dâagriculteurs et lâentretien quotidien du territoire. La construction de bĂątiments faisait partie intĂ©grante de ce travail collectif de conservation. Aujourdâhui, cette approche se retrouve dans la maniĂšre dont les utilisateurs de ces bĂątiments prolongent leur vie. Souvent, des matĂ©riaux rĂ©cupĂ©rĂ©s de maisons anciennes sont employĂ©s pour la restauration de constructions existantes. De nombreuses structures sont rĂ©amĂ©nagĂ©es par leurs propriĂ©taires, puis progressivement agrandies. Des voisins apportent leur aide, proposant savoir et ressources matĂ©rielles, contribuant ainsi Ă un systĂšme local complexe dâĂ©changes de services. Par exemple, le propriĂ©taire dâune maison Ă Gerswalde sâest servi de lâargile excavĂ©e dâun autre chantier de construction pour en enduire ses murs intĂ©rieurs.
Niklas Fanelsa, dessin de âProduits locaux,â 2020. © Niklas Fanelsa
Partout Ă la campagne au Japon, jâai trouvĂ© des produits locaux sans Ă©quivalent, vĂ©ritables fruits de leur terroir, de ses modes particuliers de production et des matĂ©riaux que lâon y trouve. Les aliments cultivĂ©s ou produits localement et les objets artisanaux (lĂ©gumes, produits laitiers, piĂšces dâameublementâŠ) ont de plus en plus gagnĂ© en popularitĂ© auprĂšs des consommateurs des rĂ©gions voisines. Des grands magasins proposent ces produits rĂ©gionaux Ă leur clientĂšle. Leur production nâest pas seulement source de revenu, mais aussi le point de dĂ©part pour une nouvelle Ă©conomie et une nouvelle identitĂ© locales. La recherche de produits rĂ©gionaux permet de lever le voile sur des savoir-faire et ressources matĂ©rielles qui pourront ĂȘtre utilisĂ©s pour dâautres projets.
Niklas Fanelsa, dessin de âVĂȘtements de travail,â 2020. © Niklas Fanelsa
Jâai constatĂ© quâil existe un lien Ă©troit, en milieu rural, entre les habitants et leur environnement extĂ©rieur immĂ©diat et que le passage des saisons se reflĂšte dans leur habillement. Chemises et pantalons amples assurent un meilleur confort et une bonne ventilation par les chaudes journĂ©es dâĂ©tĂ©. Des matĂ©riaux comme le coton et le lin naturels, utilisĂ©s traditionnellement pour les vĂȘtements de travail Ă la campagne, sont repris par de jeunes tailleurs dans des coupes contemporaines, et des piĂšces Ă motifs plus simples conviennent Ă une production domestique. En hiver, un manteau Ă coupe large en feutre de laine biologique tient bien au chaud, et un tel matĂ©riau a juste besoin dâĂȘtre aĂ©rĂ© pour son nettoyage. Les palettes de couleur sont influencĂ©es par les ressources disponibles localement pour une teinture naturelle, comme les noix et les pommes de pin dans le nord-est de lâAllemagne.
Niklas Fanelsa, dessin de âRepas communautaires,â 2020. © Niklas Fanelsa
Le style de vie Ă la campagne est beaucoup plus liĂ© Ă la production et Ă la consommation collectives des aliments que celui de la ville. Jâai participĂ© Ă des repas oĂč des groupes importants de personnes se rĂ©unissaient pour manger et discuter, Ă©changer des idĂ©es et passer un agrĂ©able moment. Partout dans le monde, des recettes ont pour base des produits locaux. Une salade peut ĂȘtre composĂ©e Ă partir de plantes sauvages comestibles cueillies dans une prairie Ă proximitĂ©. Les lĂ©gumes de saison sont fraĂźchement rĂ©coltĂ©s et combinĂ©s Ă des produits rĂ©gionaux. Ces repas sont lâoccasion de rencontres inattendues, dâĂ©changes dâinformations sur la vie au village et de rĂ©flexions collectives sur des projets Ă venir.
Niklas Fanelsa, dessin de âCoopĂ©ratives agricoles rĂ©gionales,â 2020. © Niklas Fanelsa
Aujourdâhui, lâessentiel de la production alimentaire a Ă©tĂ© industrialisĂ© par des entreprises agricoles financĂ©es par lâĂtat et opĂ©rant Ă un niveau mondial, et câest sans doute en rĂ©action que lâon voit un dĂ©sir de plus en plus fort dâexploitation plus rĂ©gionale et plus soucieuse de lâenvironnement. Des rĂ©seaux de producteurs locaux ont vu le jour, dĂ©veloppant des modĂšles ascendants indĂ©pendants de ceux existants. Les exploitations agricoles soutenues par la communautĂ© rĂ©pondent aux besoins des mĂ©nages dans les villes voisines en leur fournissant chaque semaine des lĂ©gumes frais et des produits maison. Le consommateur ne paie pas pour chaque fruit ou lĂ©gume individuellement, mais plutĂŽt pour un panier qui lui est livrĂ©, ce qui permet une proximitĂ© plus grande avec les rĂ©alitĂ©s de la saisonnalitĂ© agricole. Les produits sont distribuĂ©s Ă un point de chute central, souvent un centre communautaire ou un magasin rĂ©gional. Jâai aussi observĂ© que les mĂ©nages participants sont parfois invitĂ©s Ă donner de leur temps sur une ferme ou Ă passer leurs vacances dans un gĂźte agricole. Certaines fermes proposent Ă©galement un lieu de sĂ©minaire qui accueille des ateliers traitant dâagriculture biologique, de biodiversitĂ© ou de cuisine. Les fermes entretiennent en outre des liens Ă©troits avec des restaurants en ville qui mettent de lâavant la production fraĂźche et locale.
Jâai le projet de faire vivre plus de rĂ©cits personnels, de graphiques et de modĂšles dans le cadre dâune sĂ©rie dâateliers oĂč interviendront trois experts sur les thĂ©matiques de lâartisanat, de lâalimentation et des matĂ©riaux. Au cours de ces ateliers dâune journĂ©e et dâun Ă©vĂ©nement de clĂŽture, les participants seront en contact direct avec un environnement local, ses rĂ©seaux et ses qualitĂ©s esthĂ©tiques. Nous dĂ©couvrirons la campagne et son potentiel de dĂ©veloppement dâactivitĂ©s communes, tissant de possibles trames pour une nouvelle sociĂ©tĂ©. Avec lâappui de lâespace local de projet löwen.haus, le premier volet de cette sĂ©rie se tiendra en Allemagne rurale, Ă Gerswalde (Brandebourg), du 4 au 6 septembre 2020.
Part 1: Craft
Part 2: Food
Part 3: Material
â„ ARCHITECTES EN đ± AGRICULTUREđ
1 juin 2018
Corinna Anderson
1ïžâŁ H. J. Urry & Son. Tubar Cattle Crushes (document des dossiers de projet Westpen),s.d. Fonds Cedric Price, CCA.
En mars 1977, lâarchitecte Mark Palmer, de Cedric Price Architects, Ă©bauche une liste de questions en rĂ©ponse Ă un nouvel Ă©noncĂ© de projet. Parmi celles-ci : « Qui assure la tonte et quand? », « Vous arrive-t-il de tondre et de traiter contre les parasites? » et aussi « Les installations de pesage pour les bovins pourraient-elles servir aux moutons? ». Alistair McAlpine â collecteur de fonds pour le Parti conservateur, ami proche de Margaret Thatcher et hĂ©ritier de la fortune McAlpine amassĂ©e dans lâindustrie de la construction â a chargĂ© lâĂ©quipe de Price de travailler Ă lâamĂ©nagement de sa rĂ©sidence du Hampshire, la West Green House, en ferme bovine et ovine fonctionnelle. Câest Ă McAlpine que Palmer adresse ses questions sur lâĂ©levage animal, dans un effort de bonne foi pour comprendre les modalitĂ©s de base de son fonctionnement. Flux optimal des bestiaux et moutons, relations entre utilisateurs et diffĂ©rentes espĂšces : tout cela serait abordĂ© comme une question de design 1ïžâŁ
2ïžâŁ Bruce Brockway. FBIC Report: Planning a sheep handling unit (document des dossiers de projet Westpen), 1975. Fonds Cedric Price, CCA.
Ces installations de manipulation du bĂ©tail, que Price appelle « Westpen » constituent une raretĂ© : un Ă©noncĂ© de projet agricole pour une agence dâarchitecture. Le projet dâensemble, 2ïžâŁ le « Westgreen Amalgam », sĂ©ries dâinterventions paysagĂšres, sâinscrit pour lâessentiel dans la tradition du domaine rural anglais, avec plusieurs voliĂšres, un Ă©tang, un pont Ă bascule et un labyrinthe. Westpen a Ă©tĂ© pensĂ© pour accueillir des cages de contention des bovins et de traitement des ovins pour un troupeau de vaches blanches anglaises et un cheptel de moutons noirs de Saint-Kilda. Le projet ne sera jamais rĂ©alisĂ©, bien que Price ait finalement produit une multitude de dessins conceptuels et techniques, ainsi quâ une maquette magnifiquement peinte, complĂšte avec parties amovibles et figurines plastiques pour expliquer le fonctionnement. Dans le cadre de lâĂ©laboration du projet, lâarchitecte va appliquer Ă lâĂ©levage les principes de design quâil utilise dâhabitude pour les gens, sâintĂ©ressant en premier lieu Ă lâĂ©ventail de produits disponibles.
3ïžâŁ Farm Buildings Information Centre (document des dossiers de projet Westpen),s.d. Fonds Cedric Price, CCA. 4ïžâŁ Poldenvale Ltd. The Livestock Handlers Are Here, (document des dossiers de projet Westpen),s.d. Fonds Cedric Price, CCA.
Et la gamme est immense en la matiĂšre. LâĂ©cosystĂšme de lâĂ©quipement agricole, plutĂŽt invisible pour lâarchitecte moyen, comprend une foule de petites entreprises et de conglomĂ©rats plus importants, souvent de propriĂ©tĂ© et dâexploitation familiale, quadrillant lâensemble du Royaume-Uni Price va avoir accĂšs Ă cet univers grĂące au Farm Buildings Information Centre (FBIC), un organisme sans but lucratif ayant son siĂšge social au National Agricultural Centre Ă Stoneleigh, dans le Warwickshire1. Avec lâannuaire que lâassociation Ă©dite, lâagence de Price trouve un certain nombre de fabricants susceptibles de lâaider Ă rĂ©unir du matĂ©riel nĂ©cessaire Ă lâĂ©levage des bovins et ovins.3ïžâŁ Mark Palmer essuie plusieurs refus avant de faire la connaissance de C.S.J. Sparkes de Poldenvale, Ltd.4ïžâŁ Dans une lettre de trois pages datĂ©e du 14 septembre 1977, Sparkes explique aux architectes londoniens les principes de base de la gestion du bĂ©tail. Ces derniers ont dĂ©jĂ confectionnĂ© des graphiques sur les allĂ©es et venues des animaux dans lâenclos, essayant de combiner deux programmes dâordinaire distincts (moutons et bovins) en une mĂȘme structure permanente. Le rĂ©sultat, qui fait appel Ă des portes, clĂŽtures et Ă©quipement de manutention fabriquĂ©s par Poldenvale, ainsi quâĂ des matĂ©riaux recyclĂ©s comme des traverses de chemin de fer, est Ă mi-chemin entre terrassement et cour de ferme. Certains aspects des concepts prĂ©liminaires de Price donnent Ă rĂ©flĂ©chir Ă Sparkes. « Bien que dâun point de vue pratique, je ne voie aucune utilitĂ© au puits en dur, Ă©crit-il, je dois convenir que pour des raisons dâesthĂ©tique ou autres, vous puissiez trouver que cet Ă©lĂ©ment est nĂ©cessaire Ă lâunitĂ©2. » Mark Palmer rĂ©pond avec gratitude. Les points soulevĂ©s par Sparkes « se sont avĂ©rĂ©s prĂ©cieux », et lâagence espĂšre le consulter Ă nouveau pour dâautres conseils en cours de processus.
Price accorde une importance toute particuliĂšre au marchĂ©, convaincu que les architectes doivent prĂȘter attention aux dĂ©sirs des gens ordinaires, et que les achats en sont un bon indicateur. Mais les effets du marchĂ© sur la campagne anglaise font Ă lâĂ©poque quelque peu controverse. La prolifĂ©ration de petites entreprises de fournitures dans lâAngleterre des annĂ©es 1950 et 1960 suit une mĂ©canisation intense de la production agricole aprĂšs la guerre. Alors que la machinerie finit par excĂ©der les capacitĂ©s des bĂątiments de ferme traditionnels, le gouvernement rĂ©oriente la technologie militaire vers la production alimentaire en temps de paix3. LâAgricultural Land Service conçoit un bĂątiment agricole multifonctionnel avec des composantes en bĂ©ton prĂ©fabriquĂ© qui peuvent accueillir des portĂ©es de 4,5 mĂštres Ă prĂšs de 20, beaucoup plus que les charpentes en bois traditionnelles. Les fabricants privĂ©s vont adopter ce modĂšle et le dĂ©velopper. Dans tout le Royaume-Uni, la ferme familiale change de forme et, avec elle, change le paysage. Lâassemblage des bĂątiments prĂ©fabriquĂ©s et de lâĂ©quipement fournis par Poldenvale, Stow et dâautres sociĂ©tĂ©s nĂ©cessite peu dâexpertise professionnelle. Ces entreprises produisent des bulletins, des lettres dâinformation et du matĂ©riel promotionnel, ainsi que des listes de prix qui changent sans cesse4. Lâenvironnement rural bĂąti est commandĂ© en piĂšces dĂ©tachĂ©es dans leurs pages. Les bĂątiments de ferme traditionnels, fabriquĂ©s selon les mĂ©thodes rurales artisanales traditionnelles que ces nouveaux remplacent, sont laissĂ©s vides, servent pour lâentreposage, sont convertis en lieux dâhabitation ou tombent en ruine. Avec leur dĂ©clin, câest une certaine idĂ©e esthĂ©tique du traditionalisme Ă lâanglaise qui se trouve menacĂ©e.
Les nouveaux bĂątiments de ferme, avec leurs parements dâamiante ondulĂ©s et leurs joints grossiers, sont vus autant comme un affront Ă lâordre ancien quâau bon goĂ»t moderne. Ils sont dĂ©criĂ©s par les architectes, le seul dĂ©saccord Ă©tant oĂč jeter le blĂąme. La profession elle-mĂȘme nâest pas sans responsabilitĂ©s, affaiblis par le marasme Ă©conomique et la raretĂ© des emplois qui en dĂ©coule. Les architectes ne proposent pas dâalternatives inspirantes. Certains plaident pour un « nouveau vernaculaire » qui pourrait rĂ©pondre aux besoins du temps; lâheure est venue dâun style agro-architectural5. La propension, sous-tendue par des impĂ©ratifs de profit, de lâagriculteur à « profaner sans le vouloir la campagne » avec ces nouvelles constructions est le sujet dâun dĂ©bat enflammĂ© dans lâArchitectsâ Journal6.
5ïžâŁ FBIC: Farm Buildings and Equipment Directory (document des dossiers de projet Westpen), s.d. Fonds Cedric Price, CCA. 6ïžâŁ System-dipping for the Small Flock Farmer (document des dossiers de projet Westpen), s.d. Fonds Cedric Price, CCA.
LâArchitects in Agriculture Group (AIAG) se constitue en 1974 pour rĂ©pondre Ă cette problĂ©matique de la dĂ©gradation du paysage rural. MenĂ© par lâarchitecte John Weller, ce groupe dâintĂ©rĂȘt particulier du RIBA publie des cahiers hors sĂ©rie et organise des ateliers et des Ă©vĂšnements liĂ©s au rĂŽle de lâarchitecture dans une campagne anglaise en pleine Ă©volution7. Lors de son sĂ©minaire de 1977, intitulĂ© « Tourisme agricole. Dâun usage rĂ©crĂ©atif des bĂątiments de ferme », le groupe milite pour la conservation des bĂątiments de ferme en leur trouvant de nouvelles vocations qui les rendraient rentables dans la nouvelle et prometteuse Ă©conomie des loisirs, les reconvertissant en attractions touristiques. Dans dâautres Ă©crits, ses membres dĂ©fendent le rĂŽle de lâarchitecte comme consultant dans le processus de prĂ©fabrication. 5ïžâŁ6ïžâŁ LâAIAG se montre hostile envers les produits prĂ©fabriquĂ©s existants. « Le design moderne est rarement Ă la hauteur quand on le compare Ă la qualitĂ© de la construction traditionnelle. Il est seulement le reflet dâexigences industrielles basĂ©es sur la recherche du moindre coĂ»t8 ». Bien que conservateur dans son approche, lâAIAG ne rĂ©clame pas un retour au passĂ© (aprĂšs tout, les architectes ne se sont jamais vĂ©ritablement impliquĂ©s dans lâarchitecture rurale). Il cherche plutĂŽt Ă façonner une nouvelle utilitĂ© Ă tout prix pour lâarchitecte dans ce paysage, soit Ă travers la prĂ©servation des constructions existantes, soit par lâajout de nouvelles de meilleure qualitĂ©.
La principale rĂ©crimination formulĂ©e par lâAIAG tient au fait que le nouveau paysage agricole se dessine hors du champ dâintervention de lâarchitecte, mais le marchĂ© nâoffre guĂšre de solutions. Quand les architectes en viennent Ă pallier eux-mĂȘmes lâabsence de clients, certains problĂšmes pratiques se posent, et les clients pour des bĂątiments de ferme se font rares Ă lâĂ©poque. Alistair McAlpine, indĂ©pendant de fortune et vaguement intĂ©ressĂ© par la chose agricole, peut se permettre dâengager son ami architecte Cedric Price par simple plaisir. Mais lâagriculteur moyen, quelles que soient ses prĂ©occupations sur lâaspect visuel de la campagne, peut difficilement sâoffrir les services dâun consultant en design Ă mĂȘme ses dĂ©penses de fonctionnement. Weller et lâAIAG vont donc se tourner vers les acteurs Ă©tatiques. Leur manifeste Official Architects Serving ArchitectureâAn Appraisal, de 1977, demande au ministĂšre de lâAgriculture, des ForĂȘts et des PĂȘcheries de crĂ©er une direction du paysage et de lâenvironnement bĂąti. Ils rĂ©clament, entre autres choses, que des « architectes indĂ©pendants travaillent Ă des normes nationales en matiĂšre de conception de bĂątiments agricoles [et que] les constructeurs de bĂątiments prĂ©fabriquĂ©s emploient des architectes pour la conception des prototypes ». ConfrontĂ©s Ă un systĂšme « clĂ©s en main » fonctionnant sans besoin Ă©vident dâarchitectes, ils cherchent Ă rĂ©introduire ces derniers dans la chaine dâapprovisionnement. Pour ce faire, il leur faut dĂ©terminer quelles qualitĂ©s irremplaçables lâarchitecte apporte avec lui.
Quelles sont ces qualitĂ©s? Pour J. N. White, directeur adjoint du Design Council, la qualitĂ© la plus utile de lâarchitecte est sa capacitĂ© Ă trouver un point dâĂ©quilibre entre des exigences contradictoires. Dans un discours prononcĂ© en 1968 Ă la Royal Society of the Arts, il dĂ©finit sous les termes de « fonction » et « agrĂ©ment » les deux attentes que lâon a envers la campagne anglaise, deux demandes antagonistes bien connues des designers. Par fonction, il entend les nĂ©cessitĂ©s de lâutilitĂ© et de lâĂ©conomie, la voie la plus efficace pour rĂ©soudre le problĂšme. Ă lâĂ©chelle du pays, la fonction est la dĂ©cision basĂ©e sur des considĂ©rations budgĂ©taires pour produire un bĂątiment (nâimporte quel bĂątiment) fonctionnel pour les besoins de la production et du profit.
7ïžâŁ Cedric Price. Plan du site montrant les zones de lâamalgame Westgreen, West Green House, Hartley Wintney, Hampshire, Angleterre, entre 1977 et 1979. Fonds Cedric Price, CCA.
Les sentiments dâintendance et de fiertĂ© nationale que Weller et ses collĂšgues Ă©prouvent envers lâAngleterre rurale sont de cet ordre, portĂ©s par un intĂ©rĂȘt plus profond pour la qualitĂ© de lâenvironnement et, peut-ĂȘtre, la qualitĂ© de vie dans ce milieu. Sparkes, avec son commentaire sur les raisons « dâesthĂ©tique ou autres » qui poussent Price Ă quelques excentricitĂ©s conceptuelles, illustre lâautre tendance : celle dâune mentalitĂ© rĂ©solument fonctionnelle. Dans la logique de White, lâagriculture a besoin des architectes parce que « [âŠ] câest par une conception Ă©clairĂ©e que les exigences de fonction et dâagrĂ©ment peuvent ĂȘtre conciliĂ©es10 ».7ïžâŁ Les compĂ©tences particuliĂšres de lâarchitecte lâoutillent pour nĂ©gocier ce compromis entre les diffĂ©rentes sources de pressions.
8ïžâŁ Cedric Price. SchĂ©ma de dessin des bovins et des moutons pour Westpen, West Green House, Hartley Wintney, Hampshire, Angleterre, entre 1977 et 1979. Fonds Cedric Price, CCA.
La solution imaginĂ©e par Price pour le domaine rural de McAlpine ne regarde pas Ă la dĂ©pense. Lâarchitecte va rĂ©aliser deux maquettes complexes pour le Westgreen Amalgam : lâune dâune voliĂšre ajustable, partiellement rĂ©alisĂ©e in situ, et une de Westpen.8ïžâŁ Cette derniĂšre maquette est mobile, avec divers agencements pour montrer les diffĂ©rentes utilisations possibles du site. Les animaux sont contrĂŽlĂ©s par une sĂ©rie de portes, couloirs, barriĂšres et « cages de contention » (machines qui immobilisent le bĂ©tail pendant quâon le marque ou quâon le soigne). Lâenclos peut servir aux moutons comme aux vaches Ă diffĂ©rents moments, qui empruntent diffĂ©rents trajets; les barriĂšres Ă la hauteur des bovins sont modifiĂ©es avec une barre supplĂ©mentaire pour les ovins. Un escalier et une plateforme permettent la supervision humaine. Plus de trente dessins schĂ©matiques vont ĂȘtre rĂ©alisĂ©s pour le projet, et une vaste rĂ©flexion touchant lâensemble du domaine prend en compte lâhistoire des lieux (200 ans) et des Ă©lĂ©ments prĂ©cis du paysage. Les dessins vont dâune esquisse montrant de maniĂšre abstraite les grands Ă©quilibres spatiaux et saisonniers dâAmalgam Ă un diagramme de flux montrant les Ă©tapes de la progression des animaux dans lâenclos. Westpen figure le fonctionnement Ă lâĂ©chelle rĂ©elle pour les animaux comme pour les hommes.
Et, touche finale, Westpen peut ĂȘtre converti pour des besoins moins industriels. Cherchant Ă procurer « une satisfaction maximale aux observateurs/occupants, peu importe lâactivitĂ© menĂ©e », Price fait une hybridation entre fonction productive et dimension rĂ©crĂ©ative. Pendant plusieurs jours de lâannĂ©e, des « moutons et bĆufs en particulier » seront tondus, traitĂ©s contre les parasites (avec une solution chimique pour prĂ©venir les maladies), pesĂ©s et par ailleurs maintenus en place et soignĂ©s. Le reste du temps, les clĂŽtures et les portes seront dĂ©montĂ©es, et les humains pourront piqueniquer et jouer autour du singulier monticule circulaire, dĂ©coupĂ© et verdoyant, le site de production devenant une folie pour les distractions humaines.
Peut-ĂȘtre une rĂ©ponse aux dĂ©bats suivis par Price en son temps sur les questions de loisirs et de productivitĂ©, cet exercice Ă©vite soigneusement le problĂšme de la crĂ©ation dâun « nouveau style agricole » pouvant agir en mĂ©diateur entre les diffĂ©rentes pressions qui sâexercent sur la campagne. Dans le projet de Price, le changement dâusage dans le temps permet une sĂ©paration harmonieuse entre les territoires de la fonction et de lâagrĂ©ment. En fait, malgrĂ© la confiance placĂ©e dans les architectes par White et Weller, rares sont ceux qui vont ĂȘtre attirĂ©s par cette tĂąche Ă©pineuse et compliquĂ©e de nĂ©gociation. Les efforts visant Ă renforcer la prĂ©sence de lâarchitecte sur le terrain de la conception agricole ne tarderont pas Ă diminuer, puis Ă disparaitre; le second et dernier cahier hors sĂ©rie de lâAIAG, Information sources for the farm building designer, est publiĂ© en 1982. Que la vision de Weller dâune nouvelle perspective professionnelle en milieu rural pour les architectes se soit rĂ©vĂ©lĂ©e idĂ©aliste nâest nĂ©anmoins peut-ĂȘtre pas une surprise, le paysage professionnel Ă©tant dĂ©jĂ passablement encombrĂ©.
Price va lâapprendre Ă ses dĂ©pens lorsque, en juillet 1978, son bureau reçoit une facture de Sparkes pour la somme de 68,04 livres sterling. La surprise de Price est apparente dans sa rĂ©ponse au frais demandĂ© : « Telle pratique nâest certainement pas courante, et vous-mĂȘme ne lâavez jamais portĂ©e Ă mon attention ». Il considĂ©rait Sparkes comme Ă©tant affiliĂ© au manufacturier, non comme un consultant dans une situation similaire Ă sien. Comme lâexplique Sparkes dans sa rĂ©ponse, il est un intermĂ©diaire que Price a involontairement embauchĂ© Ă travers Poldenvale, C.S.J. & A.M. Sparkes Developments Ltd. Ă©tant sa propre entreprise qui « remplit diffĂ©rentes missions pour le compte de Poldenvale Ltd. et agit aussi directement comme spĂ©cialiste auprĂšs des clients de Poldenvale ». Ses services, qui comprennent les informations fournies par lettre et par tĂ©lĂ©phone, ainsi que la rĂ©alisation dâune carte dĂ©taillĂ©e, ne sont pas gratuits â tout comme un architecte nâeffectuerait pas un tel travail gratuitement. Il assure Price que la facture sera annulĂ©e si Poldenvale reçoit commande des produits mentionnĂ©s. AprĂšs une pĂ©riode de silence, Price finit par payer.
⊠LâAPPRENTISSAGE đ« đâïž EN DĂCOULEđ
8 juin 2018
Souvenirs dâĂ©tudiants
Une autre tradition dâĂ©ducation architecturale existe en dehors de la ville et des pĂ©dagogies circonscrites: des institutions peu orthodoxes qui sont elles-mĂȘmes des expĂ©riences de construction communautaire. Nous sommes entrĂ©s en contact avec dâanciens Ă©lĂšves de quatre de ces Ă©coles, pour essayer de dĂ©couvrir ce qui rend ces lieux si diffĂ©rents. Voici ce quâils nous ont racontĂ©.
Rural Studio
Talca
Taliesin
Black Mountain
Construction du pavillon du parc Perry Lakes par des étudiants de Rural Studio, comté de Perry, Alabama, 2002. Photographie de Timothy Hursley
Ă mon Ă©poque, de 2001 Ă 2003, il y avait 7 membres du personnel et du corps enseignant, 12 Ă©tudiants de 2e annĂ©e, 12 Ă©tudiants Ă la maitrise et environ 6 Ă©tudiants inscrits au programme de rayonnement venus des quatre coins du monde. Il y avait aussi des dĂ©tenus qui aidaient les Ă©tudiants Ă faire leur projet. CâĂ©tait un contexte de mixitĂ© sociale. Comme il nây avait Ă peu prĂšs rien Ă faire (pas de bon cafĂ©, pas de tĂ©lĂ© et une connexion Internet pourrie), on tuait le temps autour dâun feu de camp, en cuisinant ou en faisant un barbecue et en discutant tous les jours.
Pour faire sa maitrise comme Ă©tudiant au Rural Studio, il fallait Ă lâĂ©poque remplir une demande papier en rĂ©pondant Ă des questions bizarres du genre « Ătes-vous rĂ©publicain ou dĂ©mocrate? » ou « Marteau ou perceuse, que prĂ©fĂ©rez-vous? ». Avant de soumettre notre demande, mes camarades et moi avions contactĂ© les Ă©tudiants des cohortes prĂ©cĂ©dentes pour leur demander sâils pouvaient nous mettre sur la piste de certains besoins, clients ou idĂ©es de projet. Certains dâentre eux nous ont suggĂ©rĂ© de parler au juge successoral de Marion, dans le comtĂ© de Perry. Il avait en tĂȘte un projet pour lâancien parc de la Works Progress Administration, un lieu fermĂ© depuis prĂšs de dix ans. Il avait montĂ© un comitĂ© oĂč siĂ©geaient le maire, un commissaire du comtĂ©, un professeur de biologie et certains employĂ©s de lâoffice des pĂȘches de lâĂtat. Rural Studio a acceptĂ© notre demande, et le comitĂ© est devenu notre client.
Nous avons amorcĂ© nos rĂ©unions avec le comitĂ© en prĂ©sentant aux membres notre proposition de concept, le budget et la façon de faire connaitre le projet au grand public. Les membres voulaient un pavillon, or, câest connu, les pavillons sont des espĂšces dâobjets prĂ©fabriquĂ©s vendus chez Home Depot. Donc, Ă©tudiants ambitieux que nous Ă©tions, on voyait bien plus grand. Nous nous sommes dit que nous allions construire une sĂ©rie de cinq structures : une toilette, un pont, un tour dâobservation dâoiseaux, un pavillon et un quai de pĂȘche. Mais on sâest rendu compte quâil fallait dâabord choisir stratĂ©giquement le type dâespace commun quâil Ă©tait nĂ©cessaire de rouvrir au public. Et nous lâavons senti : le pavillon Ă©tait le bon espace. Il rĂ©gnait un climat de tensions sociales et raciales autour du Rural Studio. Cela dit, pour notre projet, câĂ©tait plutĂŽt lâinverse. Tout le monde travaillait ensemble pour le bien du projet. Au bout dâun moment dans un petit village, on finit par se mettre Ă chercher les gens les plus Ă©clectiques et intĂ©ressants. VoilĂ comment nous avons rencontrĂ© Mary Ward Brown, une Ă©crivaine qui faisait dans la fiction et qui a vĂ©cu toute sa vie dans le comtĂ© de Perry. Nous avons commencĂ© Ă passer du temps avec elle, Ă en apprendre sur ses Ă©crits et Ă lui parler de notre projet. Un jour, alors quâon essayait de dĂ©cider quels matĂ©riaux utiliser pour le pavillon, elle nous lance : « Ah mais, jâai un bosquet de cĂšdres plus loin sur la route et je serais trĂšs heureuse de vous le donner. Il faudra tous les couper. » Et donc nous sommes partis avec nos tronçonneuses et nous avons coupĂ© des dizaines dâarbres. Nous les avons ramenĂ©s Ă un type Ă Greensboro, en Alabama, qui avait une machine Ă bois pour quâil coupe les buches en planches. Tout le plancher du pavillon, qui fait environ 110 mÂČ, est de ce cĂšdre qui provient du fourrĂ© de Mary Ward Brown, Ă littĂ©ralement un kilomĂštre et demi du site.
AprĂšs avoir terminĂ© mon projet de maitrise, je suis restĂ©e lâannĂ©e scolaire dâaprĂšs comme enseignante. Jâavais le titre de prĂ©posĂ©e aux travaux, câest-Ă -dire que je faisais un peu de tout. Je donnais un cours, je rĂ©visais le travail des Ă©tudiants, jâallais chercher les dĂ©tenus dans un camion Ford F-150. Je les amenais Ă notre campus pour quâils puissent travailler avec les Ă©tudiants, puis je les reconduisais aprĂšs. Nous avions des conversations vraiment intĂ©ressantes, mais les villageois trouvaient le projet plutĂŽt moche. Ils sâen sont dâailleurs plaints en appelant au Rural Sutdio. Je faisais aussi visiter les lieux aux journalistes qui venaient de New York, ou jâai mĂȘme fait dĂ©couvrir tous nos projets Ă quelquâun de lâĂ©mission « Oprah Winfrey Show ». Vivre deux ans dans le sud rural mâa offert une vision trĂšs diffĂ©rente du monde, une vision Ă©mouvante, unique et bouleversante. Ăa a changĂ© ma vie, vraiment.
Ătudiants de Talca construisant une installation lors du « Atelier dâaoĂ»t » Ă CurtidurĂa, au Chili, en 2006. Photographie de Hector Labarca Rocco
Le milieu rural est un passage obligĂ© dans toute formation Ă Talca, situĂ©e dans une ville de taille moyenne entre deux capitales : ConcepciĂłn, capitale rĂ©gionale, et Santiago de Chile, capitale nationale. Avant 1999, il nây avait aucune Ă©cole dâarchitecture sur ce territoire, quâon appelle la VallĂ©e centrale. Au dĂ©but, comme câĂ©tait une nouvelle facultĂ© rattachĂ©e Ă une universitĂ© publique, lâĂ©cole nâavait aucun bĂątiment bien Ă elle. Je me rappelle, certains cours avaient lieu dans un vieil atelier de menuiserie Ă la facultĂ© de gĂ©nie forestier. On avait du mal Ă entendre le professeur dans le bruit de fond des moteurs. Câest dans cette piĂšce quâon a passĂ© pour la premiĂšre fois une nuit blanche Ă essayer de boucler un projet â en fait, on a passĂ© la nuit Ă Ă©tudier pour en examen de math quâon a tous coulĂ©!
On a mĂȘme assistĂ© Ă des cours dans la forĂȘt sur le campus de lâuniversitĂ©. On apportait nos chaises dans la clairiĂšre et on suivait notre cours lĂ . Juan Roman, le fondateur de lâĂ©cole et son directeur Ă lâĂ©poque, arpentait la forĂȘt et nous surveillait â câĂ©tait comme le loup et ses 90 petits chaperons rouges. Il nous demandait de lui dire quelles Ă©taient la dimension spatiale et les limites de notre « classe » des bois. On a commencĂ© trĂšs modestement et câest aux Ă©nergies conjuguĂ©es des enseignants et des Ă©tudiants que lâĂ©cole doit son essor.
LâĂ©cole Ă©tait un milieu toujours trĂšs dynamique, parce que tout le monde venait dâun endroit diffĂ©rent. Grosso modo, 80 % des Ă©tudiants venaient de la campagne et certains enseignants de diffĂ©rents endroits au Chili. Il y avait un va-et-vient constant Ă lâĂ©cole, mais tous Ă©taient affairĂ©s, sauf pendant lâ« Atelier dâaout » oĂč tout sâarrĂȘtait. LâĂ©cole devenait alors un atelier transversal. Durant ce mois, la vallĂ©e nous servait de salle de classe et on sây dĂ©plaçait un peu partout pour y construire nos interventions. Les Ă©tudiants de chaque niveau, ensemble, concevaient, coordonnaient et construisaient des lieux publics en milieu rural.
Une annĂ©e, cependant, ce que nous avons conçu nâĂ©tait pas un bĂątiment, mais une expĂ©rience. Avec vingt autres Ă©tudiants, nous avons parcouru la vallĂ©e, des montagnes des Andes Ă la cĂŽte pacifique, trois jours de pure rĂ©jouissance. Le plus important, câĂ©tait dâapprendre Ă connaitre le territoire et Ă nous connaitre comme groupe. Câest lors de ces conversations intimes, autour dâun verre de vin, que les intĂ©rĂȘts et les idĂ©es se manifestaient. Ce que vous ne voyez pas sur les photos de la structure Ă©rigĂ©e, câest justement ces flĂąneries et ces Ă©changes avec les Ă©tudiants et les gens du coin.
Pour mon projet final, jâai conçu un petit oratoire dans les Andes, un endroit oĂč pouvaient se rĂ©unir des gens dans la priĂšre. Le plus amusant lĂ -dedans, câest que je suis tombĂ© sur le site de mon projet par hasard. Je marchais dans les montagnes en essayant de trouver un bĂątiment conçu par Smiljan Radic et je nâarrivais pas Ă le trouver, mais jâai fini par trouver un endroit parfait pour mon projet. Je pense que ce projet reflĂšte et porte en lui mon expĂ©rience Ă lâĂ©cole, la matĂ©rialitĂ© et la ruralitĂ© du paysage.
Roger DâAstous. Portrait de Frank Lloyd Ă Taliesin West, Scottsdale, Arizona, 1953. Fonds Roger DâAstous, CCA. ARCH158160
Ă Taliesin, le lundi matin, les diverses taches Ă exĂ©cuter durant la semaine Ă©taient affichĂ©es â construction des bĂątiments et entretien, prĂ©paration des repas, jardinage ou travaux de ferme, extraction de la pierre dans la carriĂšre, aussi bien que travaux de dessin sur les projets en cours. Mais pourquoi exiger de nous autant de travaux manuels que nous devions accomplir chacun Ă tour de rĂŽle, sans exception? Quoique personne nâeĂ»t Ă rendre compte de ses activitĂ©s, chacun savait fort bien que de faillir Ă sa tĂąche alourdissait celle des autres.
Lâatelier dâarchitecture, que nous appelions « le sanctum », nous amenait Ă travailler sur les projets en cours de M. Wright. Sous la direction dâun sĂ©nior, nous participions Ă la prĂ©paration des plans dâexĂ©cution, dĂ©tails, devis, etc., toujours directement sur la table Ă dessin, jamais dans une de ces classes avec tableau noir comme celles que jâavais dĂ©jĂ connues.
Le maitre faisait rĂ©guliĂšrement la ronde des tables Ă dessin. Un jour, sâarrĂȘtant Ă la mienne et examinant un dĂ©tail dâĂ©bĂ©nisterie en prĂ©paration, il me dit: « -Roger, cela ne fonctionnera pas. -Pourquoi? lui demandai-je. -Prends ce dĂ©tail, me rĂ©pondit-il, et fabrique-le Ă lâatelier de menuiserie⊠Tu verrasâŠÂ» Câest ainsi que jâappris comment dĂ©tailler un tiroir Ă coulisseau qui fonctionne bien. (Il devait ensuite ĂȘtre exĂ©cutĂ© pour le musĂ©e Guggenheim.)
Lâatelier de dessin comprenait, en plus des diffĂ©rents ateliers de travail, une bibliothĂšque oĂč tous les travaux de M. Wright Ă©taient conservĂ©s, une source inouĂŻe de rĂ©fĂ©rences. Ă nous de les consulter. Et mĂȘme si le rĂ©veille-matin sonnait Ă 6 h 30, combien de soirĂ©es et de nuits y avons-nous passĂ©es! Les secrets de construction en blocs textures de La Miniatura, les coupes intĂ©rieures de Robie House, les dĂ©tails du tsiĂšge social de la Johnson and Son sây trouvaient; lâĂ©volution du musĂ©e Guggenheim, les projets de Pittsburg, Fallingwater, tout y Ă©tait. Une vĂ©ritable mine dâor.
Autre phase de lâapprentissage: la construction des bĂątiments que nous habitions. Je compris alors pourquoi un coffre Ă outils Ă©tait tout aussi indispensable que crayons et compas. Le but de cette activitĂ© Ă©tait de prendre contact avec les matĂ©riaux afin dâen comprendre la nature intrinsĂšque. Faire en sorte que la pierre soit autant Ă sa place dans un mur que dans la carriĂšre dont elle provient, que le bois rĂ©vĂšle sa fibre et son grain, que lâacier dĂ©montre sa qualitĂ© unique de tension (pan sur structure suspendue), que le verre accentue la continuitĂ© visuelle intĂ©rieure-extĂ©rieure ou dĂ©voile mĂȘme une pigmentation incorporĂ©e dans sa masse dans le cas dâune verriĂšre.
Et que dire de cette autre grande rĂšgle du maitre : celle dâexpĂ©rimenter physiquement et spirituellement les espaces intĂ©rieurs que son gĂ©nie savait si bien crĂ©er et que nous avions la chance dâhabiter. Ă Taliesin (au Wisconsin comme en Arizona), vivoirs, salles Ă manger, ateliers, ou autres piĂšces sâidentifient de façon sublime. Ces intĂ©rieurs sont des sculptures spatiales; on y circule avec dĂ©lectation, dĂ©couvrant constamment des aspects nouveaux. Des « variations sur le mĂȘme thĂšme » ou le dĂ©tail, la coloration, lâameublement, la lumiĂšre rĂ©vĂšlent une constance, une unitĂ© de principes en tout. Comme par osmose, ces intĂ©rieurs se manifestent Ă lâextĂ©rieur et deviennent lâarchitecture externe, la consĂ©quence directe de ce qui fut dâabord dĂ©couvert en plan durant la conception initiale.â
Les élÚves de Black Mountain Jane Robinson, Paul Wiggin et George Cadmus, avec une personne non identifiée, déplaçant les pianos du campus de Blue Ridge vers celui de Laske Eden, v. 1941
JâĂ©tais Ă Black Mountain de juillet 1942 Ă avril 1943 quand lâarmĂ©e de lâair mâa rĂ©quisitionnĂ©. Jâai adorĂ© mon annĂ©e. La danse du samedi soir, le chant avec M. Jalowetz dans une chorale qui comptait autant dâenseignants que dâĂ©tudiants; les cours avec Albers et Bentley et, par-dessus tout, les gens extraordinaires, lâintensitĂ© de ce petit groupe brillant. Je parle constamment de ces beaux jours, remplis dâactivitĂ©s et de plaisirs. Je me rappelle avoir fabriquĂ© des figurines dĂ©formĂ©es en glaise et Albers avait entendu parler de mon travail. Je les lui ai montrĂ©s et jâai Ă©tĂ© Ă©bloui par ses Ă©loges. Je me suis alors rendu compte que je pouvais ĂȘtre sculpteur, et jâai continuĂ© Ă en faire comme un passetemps rattachĂ© Ă mon travail dâarchitecte. Je me rappelle un cours avec Albers dans le sous-sol du nouveau bĂątiment dâĂ©tudes. (On Ă©tait toujours en train de mettre de lâisolant dans lâespace sous la dalle du toit.) On devait ĂȘtre environ six Ă huit, un grand groupe, assis autour dâune grande table massive. Il a commencĂ© Ă parler des faiblesses des arcs en ogive gothiques, des poussĂ©es latĂ©rales quâil fallait contrer avec un arcboutant et le pinacle pour Ă©viter que lâarc ne cĂšde. Et il est montĂ© tout dâun coup sur la table, ses mains poussant sur ses cuisses vers le bas pour Ă©carter ses jambes â lâarcboutant, le pinacle et lâarc en ogive. Le danger dâun effondrement Ă©tait effrayant.
Frances de Graaf et Eric Bentley Ă©taient les professeurs qui sâintĂ©ressaient le plus aux tumultes du monde politique en dehors du campus, et on Ă©tait plusieurs Ă se joindre Ă eux pour prendre un verre et Ă©changer. Fran Ă©tait une femme corpulente et gracieuse qui dansait sobrement, mais je me souviens dâune de nos soirĂ©es oĂč elle a eu lâidĂ©e de placer une chaise Ă sa gauche et une autre Ă sa droite. Elle sâest accroupie, puis au son dâun air russe bien rythmĂ©, elle a posĂ© ses coudes sur chaque chaise puis sâest mise a exĂ©cutĂ© une tsatska, en enchainant fiĂ©vreusement des coups de pied et en faisant des bonds. Depuis lors, quand une situation similaire sây prĂȘte, moi aussi je fais pareil.
Il y avait si peu de jeunes hommes Ă lâĂ©cole que, chaque fois que Bob Wunsch ou Fritz Cohen ou Eric Bentley organisaient une soirĂ©e, ils faisaient appel Ă moi. Jâadorais ces spectacles le samedi soir : Sous la neige, La MĂ©gĂšre apprivoisĂ©e, et le chant.
Mes neuf mois Ă Black Mountain ont Ă©tĂ©, Ă coup sĂ»r, les plus intenses de ma vie, et les plus heureux, mais je revois souvent lâironie de mes plaisirs Ă une Ă©poque oĂč le monde Ă lâagonie sombrait dans lâhorreur, littĂ©ralement brisĂ© dans la douleur. Je suis content dâavoir pu vivre ces neuf mois. Vivre dans un milieu isolĂ© de taille et dâĂ©chelle restreintes est encore plus prĂ©cieux aujourdâhui, dans un monde dâimmensitĂ© oĂč tout va toujours vite. Les relations interpersonnelles semblent maintenant plus limitĂ©es, plus fragiles. Mais, il faut dire quâĂ Black Mountain, jâavais 18 ans. CâĂ©tait une Ă©poque fantastique.
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